Jour de l’Armistice

Published 11 November 2006
poppy field

Published in The Times, 11th November 2006

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Chaque année, je me retrouve très ému par la cérémonie de Remembrance Sunday (Dimanche du Souvenir) au Cénotaphe. Bien qu’elle commémore des événements qui eurent lieu bien avant que la plupart d’entre nous ne soyions nés, elle parle de manière éloquente des qualités dont nous avons besoin pour construire un avenir décent.

Connue à l’origine sous le nom de 11 novembre, cette journée fut instituée pour marquer le moment où les combats armés ont cessé à la fin de la Première Guerre mondiale de 1918, à la onzième heure du onzième jour du onzième mois. Les coquelicots rappellent ceux qui poussèrent dans les champs en Flandre, là où se tinrent des batailles parmi les plus longues et les plus meurtrières. Cette guerre fut intitulée “la guerre pour mettre fin à toutes les guerres”, mais vingt-et-un ans plus tard, le monde devint derechef un champ de bataille. La paix et la liberté sont difficiles à obtenir, mais bien plus difficiles à maintenir.

Qu’y a-t-il dans cette cérémonie qui la rend si forte ? D’abord et avant tout, il s’agit d’un événement national, un acte d’identité et d’appartenance collective. Sont réunis autour du Cénotaphe la Reine et d’autres membres de la famille royale, les premiers ministres passés et actuels, les représentants du parlement et du Commonwealth, les dirigeants des forces armées, des dirigeants religieux et, surtout, le grand contingent des anciens combattants et combattantes qui se sont battus pour la liberté dont nous jouissons aujourd’hui. Si nous cherchons un symbole vivant de cohésion sociale, une nation réunie dédiée à un idéal, il est là. 

Deuxièmement, la cérémonie de Remembrance Sunday (Dimanche du Souvenir) nous rappelle de la dette que nous devons à nos prédécesseurs. C’est un acte de remerciement du présent envers le passé, peut-être même le seul présent que les vivants peuvent offrir aux défunts.

Edmund Burke dit que la société est un contrat entre les vivants, les défunts et ceux qui ne sont pas encore nés ; et que, sans ce sentiment de loyauté intergénérationnelle, nous ne ferions sans doute pas les sacrifices nécessaires à un avenir que nous ne verrions peut-être jamais. Par le silence public, nous devons faire une place pour écouter l’appel parcourant les années de tous ceux qui sont morts : “En rentrant chez vous, parlez-leur de nous et dites : pour votre demain, nous avons donné notre aujourd’hui”. 

Troisièmement, la cérémonie nous révèle qu’il ne peut pas y avoir d’identité sans une connexion à l’histoire. Être anglais, que ce soit de naissance ou par choix, c’est faire partie d’une histoire, honorée et décrétée par les rituels, les symboles et les cérémonies de commémoration.

Une nation n’est pas uniquement un endroit dans lequel nous vivons. C’est également un récit dont nous faisons partie intégrante. Une société est bien plus qu’une agrégation d’individus réunis en un endroit défini. Elle comporte également une dimension temporelle. Elle se tisse avec les fils de la mémoire collective apprise à l’école, représentée par les institutions, apparente dans la littérature, l’art, la poésie et la musique d’un pays. Perdre cette mémoire serait l’équivalent de la maladie d’Alzheimer pour une nation.

Aujourd’hui, nous sommes confrontés à de nouveaux combats radicalement différents de ceux d’avant. Il y a le combat contre le terrorisme et les partisans de la haine. Il y a le combat constant d’amener la stabilité à divers endroits du monde déchirés par des rivalités ethniques et religieuses. Il y a le combat contre les maladies évitables qui tuent chaque jour plus de 30 000 enfants dans le monde. Il y la lutte contre la destruction de notre environnement qui menace l’avenir même de la vie sur Terre. Si les défis changent, les vertus doivent rester les mêmes : la vision, le courage, l’objectif commun, une volonté de donner de soi-même pour l’avenir et, par-dessus tout, le sens de l’histoire.

Moïse dit à la fin de sa vie que la liberté nécessite l’entretien actif de la mémoire. “Souviens-toi des jours antiques, médite les annales de chaque siècle ; interroge ton père, il te l’apprendra, tes vieillards, ils te le diront !” (Deutéronome 32:7).

Si nous oublions que la liberté a été acquise dans la douleur, nous la perdrons. Si nous la prenons pour acquise, elle ne survivra pas. Pour être les gardiens de l’avenir de nos enfants, nous devons garder la foi dans le passé de nos aïeux. 

John McCrae, un médecin qui a servi dans les forces armées canadiennes en 1915, a observé de ses propres yeux les effets dévastateurs de la guerre et a griffonné un petit poème dans son carnet, “In Flanders Fields”, qui donna une voix immortelle à l’accusation de la mort contre nous :

Nos bras meurtris vous tendent le flambeau,

À vous toujours de le porter bien haut.

Si vous nous laissez tomber, nous qui mourons,

Nous ne trouverons pas le repos, bien que les coquelicots fleurissent

Dans les champs de Flandre.