La religion et la science

Published 29 August 2009
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Published in The Times, 29th August 2009

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En 1993, j’ai reçu un doctorat de l’Université de Cambridge avec James Watson, qui a découvert l’ADN conjointement avec Francis Crick. Cette rencontre m’a donné l’opportunité de réciter la bénédiction pour remercier D.ieu d’avoir octroyé Sa sagesse aux êtres humains, rédigée par les Sages 2000 ans auparavant et qui se trouve toujours dans tous les livres de prière juifs.

C’est une bénédiction qui doit être récitée à la vue d’un grand scientifique, bien que le mot “scientifique” ne fut inventé qu’en 1833. Quelle différence entre le premier siècle de notre ère et aujourd’hui, où il semble y avoir, au mieux, une séparation entre la religion et la science, sinon une hostilité ? Il ne devrait pas en être ainsi.

Les rabbins avaient toutes les raisons de craindre la science. Elle était contrôlée à l’époque par les grecs, et il y avait une différence profonde entre les deux cultures, si bien que les juifs avaient mené une guerre culturelle contre l’hellénisme. Le nom Épicure, le penseur qui présageait la science atomique, était synonyme d’hérétique pour les juifs.

Mais les rabbins savaient reconnaître la sagesse lorsqu’ils la voyaient, et ils lui accordaient de l’importance même s’ils étaient en désaccord avec ses conclusions. Ils agissaient ainsi pour trois raisons. D’abord, c’était évident du fait que D.ieu avait créé l’homme “à son image ; c’est à l’image de Dieu qu’il le créa” (Genèse 1:27), c’est-à-dire, selon la tradition juive, “avec la capacité de comprendre et de discerner”. L’intellect, la perspicacité, la capacité de concevoir et d’éprouver des hypothèses : ce sont des dons du Ciel et autant de raisons de remercier.

Ensuite, la méthode scientifique peut s’appliquer à la religion également. Le Talmud raconte l’histoire de Rabbi Shimon Ha’amsoni, qui avait passé toute sa vie à appliquer certains principes exégétiques à des textes bibliques. Il tomba un jour sur un verset qui mènerait à de fausses conclusions s’il était interprété selon ses règles. Il indiqua par la suite que ses principes n’étaient pas fiables, et abandonna tout le travail auquel il avait consacré sa vie. Ses étudiants, atterrés, lui demandèrent : “Êtes-vous vraiment prêts à renoncer à tout ce que vous avez enseigné à cause d’un seul contre-exemple ?” Il sourit et dit : “De la même façon que j’ai reçu une récompense divine pour avoir présenté mes principes, je recevrai aussi une récompense pour leur retrait”. Cela est en effet une anticipation, de nombreux siècles plus tôt, de l’explication de la méthode scientifique de Karl Popper. La religion n’est peut-être pas la science, mais elle emploie généralement les mêmes règles de logique. Troisièmement, la science, peu importe les conclusions qui en sortent, offre un témoignage époustouflant des lois qui régissent l’univers, ainsi que de la beauté et de la complexité de la création. Cela était évident pour les Sages il y a bien longtemps, et ça l’est devenu encore plus aujourd’hui. Je ne compte plus le nombre de fois où, en lisant une découverte scientifique, je prononce les paroles suivantes : “Que tes œuvres sont grandes, ô Seigneur ! Toutes, tu les as faites avec sagesse.” (Psaumes 104:24)

Les rabbins en étaient si convaincus qu’ils dirent de ceux qui avaient la capacité d’étudier l’astronomie, mais s’en abstenaient, que c’étaient eux dont le prophète Isaïe parlait en disant : “Ils ne font pas attention à l’œuvre de l’Eternel, n’ont pas d’yeux pour le travail de ses mains.” (Isaïe 5:12)

Un passage du Talmud est révélateur de l’approche rabbinique. Le sujet de discussion s’articule autour de la question suivante : “Où le soleil se cache-t-il la nuit ?” Les Sages exposent leur point de vue. Ensuite, le Talmud rapporte l’avis des grecs, celui de Ptolémée. Ils concluent ensuite que la thèse grecque est plus plausible que celle des juifs. Fin de la discussion. Ils ont raison, nous avons tort. Il s’agit pour moi d’un modèle d’intégrité intellectuelle.

J’ai mentionné que la bénédiction récitée à la vue d’un grand scientifique emploie le mot “sagesse”, et qu’il s’agit du concept central. Le judaïsme reconnaît deux sources de savoir différentes, la sagesse et la Torah, qui sont les résultats respectifs de la raison et de la révélation. Des livres entiers dans la Bible sont consacrés à la sagesse, incluant les Proverbes, l’Ecclésiaste et Job. À la différence de la révélation, la sagesse est universelle. Tout le monde peut l’atteindre, peu importe les croyances religieuses, et ses traces se retrouvent dans toutes les cultures du monde.

Il existe des tensions entre la raison et la révélation, qui apparaissent de façon particulièrement évidente dans l’Ecclésiaste et Job, deux des livres les plus dissidents ayant été inclus dans des textes sacrés. Mais eux aussi font partie de la vie religieuse.

Continuons donc de remercier D.ieu de nous donner de grands scientifiques. La religion repose sur un cœur ouvert, non pas sur un esprit fermé.