La vie nationale : les valeurs communes et les priorités de politique publique

Published 2 December 2016
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Je suis sincèrement navré que ma maladie m’empêche d’assister au débat important qui a lieu à la Chambre des lords, dirigé par l’archevêque de Canterbury, sur les valeurs communes qui sous-tendent notre vie nationale. Peu de sujets ont été autant négligés ces dernières décennies, et les résultats sont palpables, néfastes et dangereux.

Vous ne pouvez pas construire une société sans un code moral partagé. L’argument a été très bien exprimé par Lord Devlin : “Si les hommes et les femmes tentent de créer une société dans laquelle il n’existe pas d’accord fondamental sur le bien et le mal, ils échoueront ; s’ils ont fondé cette société d’un commun accord, mais que l’accord est remis en cause, la société en viendra à se désagréger”.

Lord Devlin s’exprima à un moment décisif de l’histoire occidentale, en 1958. Ses paroles furent rejetées les dix années qui suivirent, puis ce que l’on appelle les principes moraux de l’héritage judéo-chrétien furent abandonnés les uns après les autres, au moins tous ceux ayant trait à la loi. Depuis, la plupart des gens croient que nous avons le droit de faire ce que bon nous semble tant que ces actions sont comprises dans les limites de la loi, et que la loi elle-même doit être limitée pour empêcher de faire du mal aux autres.

Mais ce qui cause du tort aux autres n’est pas toujours évident. L’effritement du mariage et des familles équilibrées a causé énormément de tort à plusieurs générations d’enfants, sur les plans psychologique, social et économique. L’éclatement des codes d’honneur et des responsabilités a entraîné des comportements inqualifiables de la part d’au moins certaines figures influentes du monde des affaires et du secteur financier, qui ont satisfait leurs propres intérêts alors qu’ils étaient censés être au service de ceux qui en ont supporté le coût. Une institution après l’autre, l’effondrement de la confiance a été tangible, une conséquence inévitable de notre échec pour enseigner les concepts de devoir, d’obligation, d’altruisme et de bien commun. 

Nous avons commencé un périple sur la route du relativisme moral et de l’individualisme ; et ce voyage, aucune société dans l’histoire n’y a survécu bien longtemps. Cette route fut empruntée par la Grèce au troisième siècle avant l’ère chrétienne et par Rome au premier siècle de l’ère commune : deux grandes civilisations qui ont peu après décliné et se sont éteintes. L’Angleterre a commencé la même trajectoire, c’est une mauvaise nouvelle pour nos enfants, et c’est encore pire pour nos petits-enfants.

Certains éléments de moralité sont universels : la justice en tant qu’équité et le fait d’éviter d’infliger des dommages. Mais les autres sont particuliers. C’est ce qui donne à un pays sa culture et sa teinte, sa calligraphie distinctive dans le Livre de la vie. L’Angleterre dans laquelle j’ai grandi avait des valeurs et des vertus extraordinaires. Elle honorait la tradition mais était ouverte à l’innovation. Elle mettait l’accent sur la famille et la communauté, mais elle laissait aussi la place à l’excentricité et l’individualité.

Les gens n’avaient pas besoin de crier pour faire passer un message. Il y avait un calme, une dignité, un sens des convenances et un protocole qui permettait aux gens de diverses opinions de s’entendre sans que cela ne tourne au conflit. Même si vous perdiez, vous étiez fiers d’avoir joué le jeu. Si vous gagniez, vous ne faisiez pas preuve d’arrogance. Si vous aviez échoué, vous étiez quand même traité avec dignité.

J’étais juif et l’Angleterre était un pays chrétien, mais elle pratiquait sa religion avec ouverture et son accueil était inclusif et chaleureux. Des générations de juifs qui sont arrivés ici après avoir fui les persécutions ailleurs ont perçu ces vertus comme merveilleuses, comme quelque chose de bien plus précieux qu’une tolérance abstraite, et souhaitaient que nous, leurs enfants, puissions les acquérir. Pour eux et pour nous, l’Angleterre n’était pas seulement l’endroit où nous habitions, mais une partie intégrante de notre identité.

L’Angleterre d’aujourd’hui est bien plus plurielle, mais il n’y a aucune raison de penser que nous n’aurions pas besoin d’un sentiment puissant de moralité commune et de responsabilité collective, à plus forte raison maintenant que l’Angleterre a choisi de suivre sa propre voie vers l’avenir et non pas simplement comme une partie de l’Europe.

Lorsque, au sein d’une société, les gens partagent un code moral fort, il y a davantage de confiance et de solidarité : les gens deviennent des citoyens plus actifs, ils aident leur prochain, moins de gens sont abandonnés et seuls, ceux qui réussissent partagent leurs bénédictions avec ceux qui ont moins de ressources ; et il existe un sentiment de fierté collective et des objectifs communs émergent, qui activent et donnent du pouvoir aux meilleurs anges de notre nature.

Atteindre un tel idéal ne peut être accompli par le gouvernement à lui seul, mais le gouvernement peut encourager les associations civiles, communautaires, de bienfaisance et religieuses à décider ensemble de la vision que l’Angleterre aimerait créer pour les générations à venir, et de travailler ensemble à sa réalisation. Je ne peux penser à une tâche plus importante et plus urgente que de travailler ensemble pour créer une société de justice, d’équité, de bonté et de compassion qui honore la dignité de chacun et le bien-être de tous.