Un Nouveau Grand Rabbin

Published 1 September 2013
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Rabbi Sacks a donné un discours en la présence de Son Altesse Royale le Prince de Galles, en l’honneur de l’intronisation de Rabbi Ephraïm Mirvis en tant que septième grand rabbin des congrégations hébraïques unies du Commonwealth, le 1er septembre 2013 à la synagogue de St John’s Wood à Londres.


Votre Altesse Royale, Monsieur le vice-premier ministre, chef de l’opposition, vos grâces, vos excellences, dayanim, rabbanim, président de la synagogue unifiée, président du conseil des députés, invités distingués.

D’abord, j’aimerais remercier Son Altesse Royale pour nous avoir honoré de sa présence aujourd’hui. L’intronisation d’un grand rabbin n’a jamais été autant ornée de présence royale, et cela témoigne de la générosité d’esprit et la grandeur d’âme dont vous avez fait preuve envers toutes les religions, tout en demeurant fidèle et exemplaire envers la vôtre. Que D.ieu vous bénisse, et que vous, par tout ce que vous faites, continuiez de nous bénir.

Grand rabbin Mirvis. Comme cette phrase sonne bien !

Cela n’est pas la première fois que je vous ai intronisé en tant que mon successeur. Je l’ai également fait en tant que rabbin de la synagogue de Western Marble Arch. Et ce n’est pas la première fois que vous avez été nommé grand rabbin. Je fus béni d’avoir à la fois un prédécesseur et un successeur qui ont tous deux été des grands rabbins d’Écosse. Mais c’est la première fois que je le fais avec autant d’émotion.

Nous ne sommes qu’à quelques mètres de l’Abbey Road où les Beatles ont enregistré presque toutes leurs chansons à succès. Et pour paraphraser les paroles de l’une de leurs meilleures chansons : “Tu dis bonjour, et je dis au revoir (You say hello, and I say goodbye)”.

Je ne peux pas vous dire à quel point je suis enchanté pour vous et pour la grande rabbanite Valérie. Il s’agit de l’un des grands postes de gouvernance rabbinique du monde juif, l’un des plus respectés, l’un des plus influents, et aussi l’un des plus difficiles.

Pratiquement chaque jour durant vingt-deux ans, Élaine et moi avons ressenti un grand privilège de pouvoir servir une si grande communauté parmi les communautés de gens si extraordinaires qui donnent tant à la vie juive ainsi qu’à la vie de ce pays. Et maintenant, on vous lègue cette fonction, sachant que vous la remplirez avec distinction, sagesse et dignité, comme vous l’avez fait tout au long de votre carrière rabbinique jusqu’à maintenant. Vous êtes la bonne personne, au bon poste, au bon moment. Que D.ieu soit toujours avec vous dans les années à venir.

Dans la mesure où Roch Hachana commence dans seulement quatre jours, le plus tôt depuis 1899, permettez-moi d’exprimer mes bénédictions relatives aux trois grandes fêtes du (mois juif de) Tichri, qui représentent chacune un aspect différent du leadership juif.

D’abord, la mitsva unique de Roch Hachana est de sonner le chofar (la corne de bélier). Et c’est à Isaïe que D.ieu a dit : kashofar harem kolecha. “Comme le cor fais retentir ta voix !” (Isaïe 58:1).

Un dirigeant est comme un chofar. C’est le son du chofar qui définit l’humeur de la communauté. Parfois, c’est une tékia, un appel clair qui sollicite les gens à accomplir une tâche particulière. Parfois, c’est un chevarim ou une téroua, un son de larmes quand on pleure, que ce soit pour nous ou pour les autres.

Un chofar est toujours simple et basique. Aucun art particulier n’intervient dans sa fabrication. Personne n’a jamais encore écrit un concerto de chofar, à ma connaissance. Un chofar nous émeut seulement parce qu’il s’agit de notre cri à D.ieu. Au mont Sinaï, lorsque le peuple a entendu kol shofar chazak meod, ce fut le cri de D.ieu envers nous. 

Rav Mirvis, que votre voix soit simple et claire, nous appelant à la plus grande vocation jamais donnée à un peuple, d’être les témoins de D.ieu dans un monde bien souvent difficile. Et n’oubliez jamais ces paroles extraordinaires de la prière du Unetaneh tokef que nous dirons dans seulement quelques jours : ouvéchofar gadol yitaka (“le son du grand chofar”), vekol demama daka yichama (“et une voix tranquille fut entendue”) oumalakhim yechafezun (“et c’est là où les anges tremblent”). Le prophète Elisha a découvert que D.ieu n’était pas dans l’éclair, le tremblement de terre ou le feu, mais plutôt dans la voix calme, qui est douce mais claire. Puisse ces principes nous guider à travers les ténèbres de cette époque houleuse. Et que nous en soyons tous émus, comme le chofar nous émeut, afin d’être un peu meilleurs, un peu plus humbles, et plus spirituels que nous ne l’étions auparavant.

Ensuite, Yom Kippour. Le jour de Kippour, le grand prêtre plaçait ses mains sur le seir hamishtaleach, le bouc émissaire, et le chargeait des péchés du peuple. Nous avions un dessin humoristique dans notre bureau de l’homme qui fut grand rabbin à l’époque victorienne, Salomon Hirschell. À l’époque, les gens en Angleterre n’étaient pas vraiment sûrs de ce qu’était un grand rabbin, et la légende du dessin était la suivante : “Rabbi Salomon Hirschell, grand prêtre des juifs”. Il fut un temps où je disais que depuis, il n’y a qu’une chose qui ait changé. Aujourd’hui, au lieu d’être grand prêtre, le grand rabbin est le bouc émissaire.

Mais il y a une ligne dans la Torah décrivant la tâche la plus sainte de l’homme le plus saint du monde lors du jour le plus saint de l’année qui parle de mon expérience, et je suis sûr qu’il en sera de même du vôtre, en tant que grand rabbin : kol adam lo yehiyeh b’ohel meod be’vo’oh l’chaper bakodesh (Que personne ne soit dans la Tente d’assignation lorsqu’il entrera pour faire propitiation dans le sanctuaire, jusqu’à sa sortie) (Lévitique 16:17).

Au-delà de tout le travail public de cette fonction religieuse des plus publiques se trouve la relation privée que vous avez avec D.ieu, lorsque vous priez, lorsque vous étudiez, lorsque vous vous ouvrez vers le ciel dans les plus profondes entrailles de votre âme. Ces moments de solitude sont des moments où vous êtes honnêtes, ouverts et vulnérables. Et c’est là où, dans l’intimité de votre âme, vous entendrez la Chékhina, la présence divine, qui vous murmure à travers les textes de notre tradition et la sagesse de nos maîtres.

Vous entendrez, Rabbi Mirvis, l’appel au-delà du bruit, qui vous convoque, et à travers vous, nous, à notre tâche sacrée en tant que mamlekhet cohanim vegoy kadoch, une dynastie de pontifes et une nation sainte. Il s’agit d’une relation privée avec D.ieu qui définira ce que sera votre leadership, et non pas la une des journaux, la popularité ou les éloges publics. Que la présence d’Hachem ne vous quitte jamais, et à travers cette rencontre privée, puissiez-vous nous élever très haut.

Et finalement Souccot, ce que l’on appelle le Tabernacle en français, lorsque nous quittons le confort de nos foyers, et que nous expérimentons, pendant une semaine, la vie dans une dirat aray, une demeure temporaire. Je soupçonne fortement que lorsque D.ieu nous a donné ce commandement, Il n’avait pas l’Angleterre en tête spécifiquement, car c’est là où l’on s’ouvre au vent, à la pluie, et au froid avec seulement des feuilles en tant qu’abri. J’appelle Souccot la fête de l’insécurité, la fête ou l’on quitte la sécurité de nos foyers. Il s’agit d’une des attitudes les plus majestueuses et contre-intuitives de la tradition juive que l’on appelle Souccot, la fête de l’insécurité, zman sim’haténou, le temps de notre joie.

J’ai toujours cru, et agi selon cette croyance, que le judaïsme n’est pas uniquement destiné aux juifs, mais à tout le monde. Moïse, Isaïe l’on dit, et D.ieu aussi, à Jonas et à Jérémie. Notre tâche est d’être fidèle à notre religion et d’être une bénédiction pour l’autre, peu importe sa religion ; et plus notre judaïsme est fort, plus grandes seront nos bénédictions pour le monde.

Si nous devions nous demander quel est le plus grand message que nous pourrions apporter au monde en cette époque de changement sans précédent et de grand danger, pas uniquement en Israël, pas uniquement vis-à-vis des juifs, mais à nous tous, ce serait le message de Souccot, la seule fête qui, selon le prophète Zacharie, sera un jour célébré par toute l’humanité.

Et ce que Souccot nous révèle est la chose suivante : vous pouvez vivre au milieu de la plus grande insécurité, exposé aux plus grands changements, mais si vous vous asseyez betzelah demehemnuta, à l’ombre de la foi, soyez sans crainte, car D.ieu est avec vous, et au milieu de cette vulnérabilité, globale et personnelle, vous pouvez quand même vivre un zman sim’haténou, un temps de joie. 

Notre époque est une époque d’extrémisme religieux, et l’extrémisme religieux est toujours régi par la peur : la peur du changement, la peur d’une perte, la peur d’un monde au-delà de notre contrôle. Et c’est notre devoir en tant que juif de dire : “La religion n’est pas la peur. La religion est l’antidote de la peur”. Lo ira ra ki ata imadi. “Je ne craindrais aucun mal, car tu serais avec moi” (Psaumes 23:4). Rabbi Mirvis, soyez une voix de tolérance, de douceur et de générosité d’esprit.

L’ancien monde, le monde païen, croyait que les dieux se trouvaient dans les pouvoirs et les forces propres aux éléments de la nature. Ce furent Avraham et ses descendants qui enseignèrent au monde que D.ieu se trouve non pas dans le pouvoir, mais dans l’amour et le pardon, deux vertus bien trop rares aujourd’hui. Apprenez-nous à aimer et à pardonner, et vous serez l’un des plus grands dirigeants religieux de notre époque. Rabbi Mirvis, vous êtes maintenant, ou plutôt dans trente secondes, le grand rabbin Ephraim Mirvis; vos initiales sont maintenant CREM (acronyme de l’anglais ‘Chief Rabbi Ephraïm Mirvis’). Et je peux dire sans aucun doute que pour nous vous êtes la crème de la crème. Que D.ieu vous bénisse, vous, la Rabbanite Valérie et votre famille. Qu’Il vous donne sagesse, force, confiance et courage. Que vous puissiez nous diriger tous à entendre l’appel de D.ieu et nous inspirer à accomplir Sa volonté.