Un nouveau mouvement contre la persécution religieuse

Published 12 December 2014
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Published in The Wall Street Journal on 12th December 2014

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Publié le 12 décembre 2014 dans le Wall Street Journal afin de souligner la menace grandissante pesant sur les libertés religieuses, en particulier à la lumière de la violence au Moyen-Orient à la suite de l’apparition du groupe terroriste, l’État islamique.

En 1991, j’ai allumé les bougies de ‘Hanouka avec Mikhail Gorbatchev, alors président de l’Union soviétique. Après la cérémonie, il me demanda par l’intermédiaire de son interprète ce que l’on venait de faire, le sens de ce rituel ? J’ai demandé à l’interprète de lui dire qu’il y a plus de 2000 ans, à l’époque du régime dictatorial des grecs séleucides, les juifs ont combattu pour avoir le droit de pratiquer leur religion dans la liberté. “Mon peuple a gagné”, lui expliquais-je, “et depuis, nous célébrons cette cérémonie pour commémorer cet événement”.

J’ai ensuite souligné que pendant plus de soixante-dix ans après la révolution russe, les juifs vivaient aussi sous un régime dictatorial en Union soviétique et n’avaient pas le droit de pratiquer leur religion. “Vous leur avez rendu leur liberté”, lui dis-je, “vous êtes donc aussi une partie prenante de cette histoire”.

Après que l’interprète ait traduit ma réponse, le Président Gorbatchev rougit. Il avait récemment fait l’histoire avec la dissolution de l’Union soviétique, mais j’imagine qu’il n’était pas habitué à recevoir des louanges pour l’importance de ses actions si loin dans le temps. Mais cela n’en demeurait pas moins vrai, il avait libéré les juifs soviétique du silence, et les juifs qui participaient à cette célébration de ‘Hanouka le ressentait. Pour les juifs du monde entier, ce fut l’un des grands moments de l’histoire contemporaine.

Bien sûr, ce furent des jours remarquables pour des millions de gens. Alors que le Mur de Berlin tomba un quart de siècle plus tôt, le communisme soviétique a implosé et la guerre froide s’est terminée ; The End of History[1] de Francis Fukuyama prit tout son sens. L’ère des conflits idéologiques était terminée. La grande idéologie séculière, le communisme, avait échoué. La victoire était celle de la démocratie libérale et de l’économie de marché, qui ne sont pas des idéologies mais simplement des systèmes libérant les énergies des individus en leur permettant de vivre en paix et de manière créative ensemble, en dépit de leurs différences. Adam Smith et John Stuart Mill se sont avérés être de plus grands prophètes de l’esprit humain que Karl Marx.

Rarement rêve ne fut si brusquement interrompu. Déjà en 1991, le conflit en Bosnie avait éclaté, et c’est cet événement qui allait déterminer la tournure des choses. Les bosniaques, qui avaient vécu ensemble pendant des décennies, se sont retrouvés divisés par des critères religieux et ethniques sous le régime toxique de Slobodan Milošević et Radovan Karadžić. Trois ans plus tard, le massacre au Rwanda fut perpétré par les Hutus contre les Tutsis. Ce fut le retour vengeur du tribalisme.

La liberté religieuse était la victime du nouveau désordre mondial. Il y a des persécutions contre les chrétiens au Moyen-Orient, qui sont massacrés, crucifiés et décapités en Syrie et en Irak, pourchassés et menacés en Afrique subsaharienne, en Iran, au Pakistan, en Indonésie et ailleurs. Des musulmans sont tués par les mains de leurs coreligionnaires musulmans en raison des différences entre sunnites et chiites. Les Bahaï sont persécutés en Iran et en Égypte, les bouddhistes au Vietnam, au Myanmar et en Chine, et les Hindous au Pakistan. Et avec la mémoire encore vivante de l’Holocauste, l’antisémitisme est revenu en Europe.

Selon le rapport mondial en 2014 mené par la fondation internationale d’Aide à l’Église en détresse, la liberté religieuse s’est détériorée dans pratiquement la moitié des pays du monde et la violence tribale a atteint son niveau le plus haut depuis six ans. Or la liberté religieuse constitue l’un des droits de l’homme les plus fondamentaux, tel qu’énoncé dans l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ce fut la raison pour laquelle le monde contemporain a établi le concept de droits de l’homme à l’origine. L’écoeurement d’un siècle de guerre de religions en Europe a permis aux Lumières de réfléchir au contrat social, aux limites morales du pouvoir et au caractère central des droits de l’homme.

Le monde a besoin d’un nouveau mouvement des Lumières, celui de gens de toutes religions confondues qui travaillent ensemble pour la liberté de culte de toutes les confessions. L’histoire de la religion dans le passé, et malheureusement toujours actuellement, n’est pas très reluisante. À travers l’histoire, les gens ont haï au nom du D.ieu de l’amour, ont commis des actes cruels au nom d’un D.ieu de compassion, ont tué au nom du D.ieu de la vie et ont déclenché des guerres au nom du D.ieu de la paix. Aucune des grandes religions n’a été exemptée de cela à un moment ou à un autre de l’histoire. Le temps est maintenant venu de dire “assez”.

Le défi est simple, et il est articulé dans le premier chapitre de la Bible. Peut-on déceler l’image de D.ieu chez quelqu’un qui ne nous ressemble pas, dont la couleur, l’appartenance ethnique ou la culture n’est pas la nôtre ? Lorsque ‘Hanouka commencera mardi soir, j’allumerai la première bougie et je prierai que le jour vienne où des individus de toutes religions confondues allumeront une ménorah ensemble, célébrant une nouvelle fête de la liberté religieuse, lorsque nous aurons enfin appris à honorer la fraternité de l’humanité sous le signe de l’amour et du pardon divin.


[1] Francis Fukuyama, The End of History and the Last Man (London:Hamish Hamilton,1992).