Une décennie de renaissance juive

Published 1 September 1991
Installation as Chief rabbi sacks

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Le 1er septembre 1991, dans la synagogue de St John’s Wood à Londres, Rabbi Sacks a prononcé son discours inaugural après avoir été officiellement intronisé sixième grand rabbin des Congrégations hébraïques unies du Commonwealth.

Cela fait plus d’un an que je pense à ce moment, mais plus il s’est approché, plus je me suis senti submergé. Moïse, le plus grand dirigeant que le peuple juif ait jamais connu, a tremblé lorsqu’il a appréhendé le fardeau du leadership, et s’est exclamé Mi anochi : “Qui suis-je ?” (Exode 3:11). Que devrais-je donc dire, moi, qui jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans, n’ait jamais rêvé de devenir rabbin, encore moins grand rabbin ? Il y a treize ans presque jour pour jour, j’ai commencé mon périple en tant que rabbin de la synagogue de Golders Green, et aujourd’hui, lors de ma Bar-Mitsva au rabbinat, vous m’avez octroyé l’honneur d’occuper l’une des positions les plus importantes du monde juif. Hier comme aujourd’hui, je suis déterminé à ne pas m’asseoir sur mes propres mérites. Je prie plutôt D.ieu, dans les mots du roi Salomon, pour un lev shomea lishpot et amcha, un cœur intelligent sachant distinguer le bien du mal (Rois 1, 3:9), attentif au besoin de Sa communauté et toujours aussi obéissant envers Ses paroles. Ana avdah dekoudsha brikh hou: “Je suis un serviteur du Saint, béni soit-Il”. Aucun juif ne peut en dire moins, aucun juif ne peut aspirer à quelque chose de plus grand.

Permettez-moi de commencer en rendant hommage à mon prédécesseur distingué, Lord [Immanuel] Jakobovits. À cette même place, il y a presque un quart de siècle, il évoqua, lors de sa propre prise de fonction, les trois couronnes de la gouvernance rabbinique : les couronnes de la royauté, de la prêtrise et de la Torah. Depuis, nul n’a autant fait pour élever ces couronnes à leur juste valeur : la royauté, en s’adressant au grand public et en gagnant son admiration, reconnu par son élévation à la pairie et récompensé par le prix Templeton ; la prêtrise, pour son travail exemplaire en matière d’éducation juive ; et la Torah, pour avoir adopté la responsabilité des prophètes en tant que voix de l’éthique juive en temps troublés. Lord Jakobovits, vous avez élevé le statut du grand rabbinat à la fois aux yeux des juifs et des non-juifs, et pour vous et Lady Jakobovits, je vous souhaite des années de retraite aussi longues et créatives que vos années de fonction.

En ce moment rempli d’émotion, permettez-moi d’exprimer mes remerciements à ceux qui m’ont permis d’être là aujourd’hui : mes professeurs, en particulier Rabbi Na’houm Rabinovitch, de qui j’ai appris que l’amour de la Torah et le courage moral vont de pair ; aux Dayanim distingués de notre Beth Din (juges de la cour rabbinique), pour leurs encouragements et conseils continus ; à mes vénérés collègues du rabbinat, sans qui je ne pourrais jamais espérer accomplir ce qui doit être accompli durant les années à venir, à tous ceux avec qui j’ai eu le privilège de travailler au Jews’ College, et aux synagogues de Golders Green et Marble Arch, de vrais amis qui ont fait en sorte que toutes ces expériences soient mémorables.

Par-dessus tout, mon cœur est orienté aujourd’hui vers ma famille. Élaine et moi nous sommes mariés jeunes, et elle ne savait certainement pas où nos étranges pérégrinations allaient nous mener. Mais elle est restée avec moi à chaque instant, tout comme nos enfants Joshua, Dina et Gila, en donnant de la force, du soutien et de l’amour. En ce jour si grand, je remercie mes parents, qui m’ont donné une “Yiddisher neshomo”, “une âme juive”, et qui m’ont fait prendre conscience que le plus grand amour qu’un parent peut démontrer à son enfant est de toujours vouloir qu’il grandisse. À vous tous : je prie d’être à la hauteur de vos attentes.

J’aimerais présenter aujourd’hui la direction de mon grand rabbinat, et partager avec vous la vision qui l’anime. Permettez-moi de commencer avec la vision.

À plusieurs reprises l’année dernière, alors que je me trouvais à Jérusalem, perçant son inspiration, un dicton m’est venu à l’esprit, celui d’un des plus grands héros du judaïsme, Akavia ben Mahalalel. Il a dit : histakel bishloshah devarim ve-ein atah ba lidei averah (“Considère trois choses et tu n’en viendras pas à la transgression”). Da meayin bata (“sache d’où tu viens”), ulean atah olekh (“où tu vas”) velifnei mi atah atid liten din vecheshbon (“et devant qui tu devras rendre des comptes”) (Maximes des pères 3:1).

Akavia proposait quelque chose d’audacieux et de fondamental. Nous pouvons mal tourner en tant qu’individus ou en tant que peuple, pas nécessairement parce que nous sommes mus par la malveillance, mais tout simplement à cause d’un échec ou de l’imagination. Le temps d’un instant, nous avons vécu pour le moment présent, et nous avons oublié ce que le passé aurait dû nous enseigner, ce que les conséquences potentielles pouvaient être, et nous avons oublié qu’il y a toujours des comptes à rendre, un prix moral à payer. Un manque d’imagination historique : nous avons oublié d’où nous venons. Un manque d’imagination prophétique : nous avons oublié où nous allons. Ou un manque d’imagination spirituelle : nous avons oublié devant qui nous nous tenons. Akavia parlait d’individus. Mais j’aimerais appliquer ses trois grandes questions au peuple juif en tant que tel, car c’est auprès de lui que ma vision s’inscrit.

Comment l’histoire juive commence-t-elle ? Par un périple. Lekh Lekha (va pour toi) (Genèse 12:1). Les premières paroles que D.ieu a prononcées à Avraham l’ont conduit à un voyage, el haaretz asher arekha (“vers une terre”) ve’escha legoy gadol (“vers une nation”), va’avarecherha va’agadla chemecha vehyeh berakhah (“vers une bénédiction et devenir une bénédiction pour les autres”)(Genèse 12:1-1). Toute la Torah de la Genèse au Deutéronome est l’histoire de ce périple. Mais que se passe-t-il ?

Nous en arrivons à un mystère qui hante l’existence juive. L’histoire que la Torah relate d’Israël commence par le périple d’Avraham vers la terre. Mais au moment où elle se termine, ses enfants ne sont pas encore arrivés. Le livre de Devarim se termine avec Moïse regardant Israël de loin, depuis la montagne, mais qui n’a pas encore franchi le Jourdain. Meayin bata oulean atah holekh. D’où viennent les enfants d’Israël et où vont-ils ? D’une petite famille vers une grande nation. De l’exil à une terre. De la servitude à la liberté. Les cinq livres de Moïse retracent cette histoire. Mais ce qu’ils ne narrent pas, c’est ce qu’il s’est passé lorsqu’il Israël est finalement arrivé.

Nous sommes un peuple ancien, plus ancien que presque tout autre peuple. Nous avons été les témoins d’illustres civilisations atteignant, les unes après les autres, leur apogée, avant qu’elles ne déclinent et ne s’éteignent finalement. Mais en presque 4000 de notre Histoire, ce n’est qu’à trois reprises que nous avons été sur le point d’atteindre notre destination. Ce n’est qu’à trois reprises que nous avons été une grande nation libre avec une terre. La première fois, à l’époque de Yéochoua. Une seconde fois lorsque Cyrus de Perse a permis aux exilés babyloniens de revenir sur leur terre. Et la troisième fois, aujourd’hui. Toute l’histoire juive a été une expédition vers ces trois moments. Que s’est-il passé lorsque nous y sommes arrivés ?

La première fois, Israël s’est effondré. Il y eut la période des Juges, ish hayashar be’enav yaaseh (“chaque personne faisait ce qui lui semblait juste à ses yeux”) (Juges 21:25). Ensuite, après seulement trois rois, Saül, David et Salomon, le pays fut divisé en deux et perdit 80 % du peuple d’Israël, la disparition des dix tribus. Ceux qui sont restés étaient trop faibles et peu nombreux pour mettre en déroute la puissance babylonienne. C’est ainsi que le premier Temple fut détruit et que la première arrivée échoua.

À la seconde occasion, Israël s’est effondré. Le peuple renouvela l’alliance sous la gouvernance d’Ezra et de Né’hémia. Mais ils succombèrent ensuite à l’hellénisation, ce que nous qualifierons aujourd’hui d’assimilation. Il y eut des divisions féroces entre juifs, qui ont parfois pris la forme de guerres civiles. Les rabbins ont qualifié cette époque de sinat ‘hinam, “la haine gratuite” entre juifs. Et lorsque Vespasien et Titus marchèrent sur Jérusalem, les juifs étaient trop désunis pour résister. Le deuxième Temple fut détruit ; la seconde arrivée échoua.

Et à ce moment-là, le peuple juif fut marqué d’un grand point d’interrogation. Nous avons une capacité inégalée de pérégriner avec espérance. Abraham, Isaac, Jacob, Moïse ont passé leur vie à voyager avec espoir. Mais avons-nous la capacité d’arriver ? C’est la question la plus cruciale à laquelle le peuple juif est confronté aujourd’hui. Car, pour la troisième fois seulement dans les annales de notre peuple, nous avons la même posture que Moïse à la fin de sa vie : à quelques pas de la destination vers laquelle toute l’histoire juive se dirigea. 

Pendant presque 2000 ans d’exil, nous avons aspiré à la liberté. Nous l’avons aujourd’hui. Nous avons prié pour une terre. Nous l’avons maintenant. Nous avons prié pour nous trouver dans tes portes, ô Jérusalem. Nous y sommes maintenant. Nous avons prié pour le retour des exilés depuis les quatre coins de la terre. Nous l’avons maintenant. Rien ne nous sépare de la réalisation du plus grand rêve jamais rêvé par nos grands-parents ou leurs ancêtres jusqu’à Avraham : être un mamlekhet kohanim vegoi kadosh (“un peuple dédié à D.ieu en liberté et souveraineté”) (Exode 19:6). Nous nous tenons au seuil d’aspirations millénaires. Et il n’y a qu’un obstacle qui nous bloque : un manque d’imagination. D’imagination historique, un rappel d’où nous venons. D’imagination prophétique, un rappel d’où nous allons. Ou encore d’imagination spirituelle, afin de nous rappeler devant qui nous nous tenons.

Considérez la chose suivante. Pendant plus de 2000 ans, nous étions le peuple du livre. Aucune nation n’a autant chéri les études juives, l’éducation, comme nous l’avons fait. À la différence de toute autre civilisation, les juifs ont dit que l’éducation n’est pas destinée à une élite mais est morashah kehillat yaakov, l’héritage de chaque juif. Elle n’est pas uniquement réservée aux jeunes mais plutôt chayenu veorech yamenu, car elle est notre vie et prolongent nos jours. Un seul peuple a basé sa survie non pas sur la force ou le pouvoir, mais sur un livre : l’éducation est le lien qui unit les générations.

Et aujourd’hui ? En dépit des grandes avancées en matière d’éducation anglo-juive, combien de nos enfants ont fréquenté une école juive ? Combien d’entre eux peuvent-ils comprendre l’hébreu, la seule langue qui nous lie au peuple juif ? Combien d’entre eux continuent d’étudier le judaïsme au-delà de l’âge de douze ou treize ans, peut-être l’âge où tout commence vraiment à avoir du sens ? À quelle fréquence étudions-nous un livre ayant trait au judaïsme ?

Considérez encore cela. Depuis l’époque d’Abraham et Sarah, s’il y avait une chose que les juifs gardèrent comme le point d’appui de leur survie, ce fut la famille. Pour quoi priaient-ils plus que tout ? Pour que leurs enfants perpétuent l’alliance. Lorsque les prophètes atteignirent le paroxysme de la passion religieuse, comment décrirent-ils la relation entre D.ieu et Israël ? Avec le langage de la famille. Bni be’hori Yisrael (Exodus 4:22). Nous sommes les enfants de D.ieu et Il est notre père. Ve’erastich li leolam (Osée 2:21). Nous sommes les fiancés de D.ieu, et Il est notre bien-aimé. La famille, c’est là où les juifs apprennent leur identité, d’où ils viennent et où ils vont. La famille, c’est là où les juifs apprennent à aimer. La famille était le creuset de la survie du peuple juif.

Aujourd’hui, nous savons que dans le monde juif anglophone, il y a trop peu de mariages dans les synagogues. Le divorce est devenu une épidémie. Les relations hors mariage, les mariages mixtes et les mariages brisés sont devenus non pas l’exception, mais la norme. Comment pouvons-nous, pratiquement en une seule génération, avoir peut-être pris la plus grande contribution de la Torah au bonheur humain et la jeter tout bonnement ?

Considérez encore cela. Pendant les 1800 dernières années, les juifs étaient disséminés dans presque tous les pays du monde, depuis la Babylonie jusqu’à Birmingham, de Buenos Aires à Berditchev. Mais ils savaient, et leurs voisins le savaient également, qu’ils étaient une grande famille, une seule nation Yeshno am e’had mefuzar umeforad bein ha’amim (Esther 3:8). Malgré leur dispersion, ils étaient unis par un passé commun, un espoir commun et une foi commune. Ils savaient d’où ils venaient, où ils allaient et devant qui ils se tenaient. Bien qu’ils n’avaient aucune terre, ils étaient un seul peuple.

Et aujourd’hui, nous avons une terre, mais sommes-nous un seul peuple ? Nous n’avons peut-être jamais été autant divisé dans toute notre Histoire. Israël est divisé. Nous sommes divisés en diaspora. Il y a quelques années, les penseurs juifs ont posé la question : Y aura-t-il un seul peuple juif en l’an 2000 ? Aujourd’hui, plusieurs sont prêts à répondre par la négative. Ce sont des ruptures fondamentales qui menacent l’intégrité même du monde juif en tant qu’am e’had, un seul peuple.

Le peuple juif a perdu le cap. Pendant des générations, nous avons voyagé avec espoir ; mais avons-nous maintenant le courage d’arriver ? Pendant des générations, nous avons prié ; mais pouvons-nous vivre avec la réponse à nos prières ? Nous avons survécu à l’esclavage ; mais pouvons-nous gérer la liberté ? Nous avons mangé le pain d’affliction ; mais pouvons-nous gérer l’abondance ? Nous avons appris à vivre avec Israël en rêve ; mais pouvons-nous vivre avec Israël en réalité ?

Est-il possible qu’à l’aube de la réalisation des espoirs entretenus depuis des générations, notre volonté nous fera à nouveau défaut ? Il ne peut en être ainsi. Le premier échec nous a apporté un exil de soixante-dix ans. Le deuxième échec nous a apporté un exil de 1870 ans. Il ne peut y avoir un troisième échec.

En ce cinquante-huitième siècle du calendrier juif, les juifs ont traversé la Shoah, la plus grande tragédie humaine que le monde ait jamais connue, et la renaissance de l’État d’Israël, notre plus grand miracle collectif en 2000 ans. En Israël, durant la première guerre du Golfe, je ne pouvais pas croire ce qu’il se passait, à savoir que même sous les missiles et en plein danger, les juifs éthiopiens et russes affluaient ; et je savais que, bien que les juifs récitaient ces paroles durant des années, ce fut notre génération qui aurait le privilège de les voir se réaliser : im yihyeh nidachacha bikzei hashamayim. “l’Éternel, ton D.ieu, te prenant en pitié, mettra un terme à ton exil, et il te rassemblera du sein des peuples parmi lesquels il t’aura dispersé” (Deutéronome 30:3). Et lors des deux dernières semaines, nous avons été les témoins du communisme soviétique, l’une des plus grandes tentatives jamais exécutées pour éliminer D.ieu, le judaïsme et la valeur biblique de la liberté individuelle, entraîner sa propre destruction. Pouvons-nous seulement croire que nous vivons une époque ordinaire ?

Un écrivain juif a dit : “Le nombre de juifs dans le monde est plus petit qu’une erreur statistique dans le recensement chinois. Mais de grandes choses semblent nous arriver ainsi qu’à notre entourage.” Ce dernier siècle, de grandes choses nous sont arrivées, pour le meilleur et pour le pire, si grandes qu’elles n’ont aucun parallèle depuis l’époque de la Bible, et elles nous appellent à la grandeur. Je prie pour que notre imagination ne nous fasse pas défaut maintenant.

Nous devons travailler de pair pour renouveler le monde juif. Pendant près de 2000 ans, nous avons voyagé avec espoir, et maintenant, à l’aube de la ligne d’arrivée, ne perdons pas le cap. Nous avons souffert de complaisance et de déconvenues religieuses. Nous nous sommes causé du tort par des divisions et des rivalités insignifiantes. Une partie de notre communauté se détache lentement. Nous perdons nos plus précieuses possessions, l’identité juive, la famille juive, et par-dessus tout, un engagement envers la Torah qui a inspiré des générations à mener des vies de sainteté et de beauté morale. Sommes-nous devenus sourds à l’appel du destin, alors que nous l’avons entendu auparavant ? Nous qui avons enseigné au monde que la foi religieuse est un parcours allant de l’esclavage jusqu’à la liberté, sommes-nous devenus incapables de gérer les défis de la liberté ? D.ieu préserve. Nous avons perdu notre vision prophétique.

Mais nous qui vivons à cette époque historique pouvons y remédier ensemble.

Parce que meayin bata. D’où venons-nous ? De centaines de générations de juifs qui ont souffert à cause de leur foi et de leur appartenance à un peuple, mais restés fidèles aux deux malgré tout. Lé’an atah holekh. Où allons-nous ? Au jour où, vivant notre religion avec liberté et fierté, veraou kol amei ha’aretz ki sham Hashem nikra alecha, “Et tous les peuples de la terre verront que le nom de l’Éternel est associé au tien”(Deutéronome 28:10). Velifnei mi atah atid liten din vecheshbon. Et envers qui devons-nous rendre des comptes ? Envers D.ieu, et toutes les générations de juifs qui sont arrivés avant nous et ont prié pour ce que nous avons, et à toutes ces générations qui ne sont pas encore nées dont le destin juif est entre nos mains.

Un Chabbath après-midi, j’étais assis en train de regarder les enfants jouer dans les rues de Jérusalem. Il y avait un calme et une paix qui existent uniquement le Chabbath à Jérusalem alors que le soleil commence à se coucher et les maisons deviennent rouge et or. Puis, je me suis rappelé qu’il y a 2000 ans, Rabban Gamliel, Rabbi Elazar ben Azariah et Rabbi Yehoshoua avaient vu cette ville en ruines et avaient pleuré. Mais Rabbi Akiva, ce géant de la foi, avait dit : ‘Un jour, la prophétie de Zacharie se réalisera. “De nouveau des vieux et des vieilles seront assis sur les places de Jérusalem… ourechovot ha’ir yimalou yela-dim viyladot mesachakim birchovoteha. Et les places de la cité seront pleines de jeunes garçons et de jeunes filles qui s’ébattront sur ces places.” (Zacharie 8:4–5). Puis je me suis dit, Ribbono chel olam, combien avons-nous attendu, combien d’exils, d’expulsions, de persécutions, de pogroms avons-nous endurés, mais nous n’avons jamais perdu cette vision.

Et voici qu’Israël, la plus ancienne terre, était renouvelée, et voici que Jérusalem, la plus ancienne des villes, était refaite à neuf ; voici que les enfants juifs donnaient une nouvelle vie à une foi ancienne. J’ai compris plus que jamais ce que les rabbins voulaient dire lorsqu’ils disaient que lorsque D.ieu nous a donné la Torah ‘hayei olam nata betochenu, il a planté une vie éternelle en nous. Et à cet instant, j’ai compris ce que j’étais venu apprendre à Jérusalem. À chaque génération, la Chékhina, la présence divine, repose sur ceux qui renouvellent notre foi ancienne. Elle a résidé parmi les pionniers d’Israël, parmi les dirigeants des yéchivot et des écoles juives, parmi ceux qui ont vécu non pas pour le moment présent, mais pour les générations futures d’enfants juifs. Ce sont eux qui ont redonné une vie à notre peuple.

Et je n’ai plus douté de mon rôle parmi les juifs anglais. Je devais commencer par vous inviter à m’aider à créer une décennie de renaissance juive.

Cessons d’être une communauté dont les institutions et les mentalités déclinent. Commençons aujourd’hui, et pour les dix prochaines années, un processus d’effort commun pour construire une communauté dans laquelle les enfants juifs peuvent être libres et fiers, qui savent d’où ils viennent, où ils vont et devant qui ils se tiennent.

Je vous sollicite pour m’aider à renouveler notre ahavat Israël, notre engagement catégorique à aimer chaque juif. Nous devons accueillir chaque juif à bras et à cœur ouverts. Si nous sommes en désaccord, et parfois nous devons l’être, soyons-le avec amour, dignité et respect. Nous pouvons prouver la grandeur de la Torah seulement par inspiration, et non pas par négation. Nous sommes une communauté divisée. Mais faisons en sorte de travailler ensemble pour amoindrir ces divisions en se rapprochant les uns des autres, et de D.ieu. Nous avons assez souffert d’antisémitisme. Faisons en sorte de pratiquer le philosémitisme. Nous avons assez souffert des attaques des autres. Assurons-nous de ne jamais les infliger à notre prochain.

Aidez-moi à renouveler la ahavat Torah : un amour du mode de vie qui est notre seule requête de singularité en tant que peuple, et par-dessus tout, un amour de l’étude. Renouvelons notre étude juive à tous les niveaux, formelle et informelle, enfants et adultes, dans tous les contextes et toutes les formes. Il n’existe aucune autre idée plus radicale que celle de vedibarta bam “Tu les inculqueras à tes enfants et tu t’en entretiendras, soit dans ta maison, soit en voyage, en te couchant et en te levant” (Deutéronome 6:7). Ne cessons jamais d’apprendre. Continuons toujours à grandir. Servons toujours D.ieu non seulement avec nos cœurs, mais avec nos esprits également. Le plus grand renouveau du monde juif anglais se réalisera si nous faisons en sorte que l’étude soit l’héritage de chaque juif.

Aidez-moi à renouveler la ahavat Hashem, l’amour de D.ieu qui a fait en sorte que le peuple juif soit né, et qui nous a élevés au-delà des aléas de l’histoire pour faire de nous un peuple éternel. Nous nous sommes sécularisés. Il y a des moments où nous croyons que les juifs peuvent survivre sans croyances, en tant que groupe ethnique maintenu par la nostalgie. Mais la foi n’est pas un luxe sans lequel nous pouvons vivre. C’est l’air que nous respirons. Si nous pouvons parler à D.ieu en prière, si nous pouvons donner à D.ieu à travers la charité ou le service de la communauté, si nous pouvons créer une demeure pour la présence divine dans nos foyers, et dans nos vies publiques un kiddouch Hachem, une sanctification du nom de D.ieu, nous acquérons ce sens unique sans lequel le bonheur humain ne peut exister. Qu’en ces années éphémères, nous ayons accompli quelque chose de grand. Nous avons marché sur le derekh Hachem, le chemin de D.ieu.

Renouvelons notre contribution envers la société britannique. Dans ce pays que nous aimons, nous avons trouvé de la liberté, de la tolérance et du respect pour nos traditions. L’Angleterre a été et demeure un géant moral parmi les nations, et nous devons jouer notre rôle en faisant en sorte qu’elle demeure une société attentionnée et pleine de compassion. En tant que juifs, nous devons nous soucier de l’environnement, des éthiques sociales, médicales, financières, et de l’image de D.ieu en notre prochain, juif comme non-juif.

Renouvelons notre attachement à la terre et à l’État d’Israël. Car c’est là où nous sommes nés en tant que peuple, et où nous sommes nés à nouveau en tant que peuple. Grâce à Israël, après 2000 ans, les juifs ont pris leur destin en main à nouveau en tant que peuple souverain. Grâce à Israël, il y a un endroit où chaque juif, dont la vie ou la liberté est menacée, peut se réfugier. Grâce à Israël, l’étude juive prospère comme jamais auparavant et comme nulle part ailleurs. Sans faire fi des dilemmes auxquels Israël est confronté, faisons en sorte que notre amour pour lui soit sans équivoque, et notre attachement pour son peuple, infaillible.

“Une décennie de renaissance juive” : permettez-moi de clarifier mes propos. Je ne veux pas dire que j’ai un programme personnel que je suis déterminé à imposer sur la communauté avec ou contre son gré. Cela n’est pas la manière dont je conçois la gouvernance. J’aimerais encourager le leadership chez les autres, être un incubateur de créativité, ouvrir les portes closes pour laisser entrer l’air frais de l’initiative et de l’imagination. J’aimerais démarrer un mouvement qui prendra de la vitesse avec le temps. J’aimerais écouter et impliquer tous ceux  qui sont prêts à travailler avec moi dans trois domaines particuliers : la gouvernance, l’éducation et la spiritualité.

Et j’en appelle en tout premier lieu nos rabbins : mes collègues. Puissions-nous diriger de l’avant. Soyons guidés par notre appel à tendre la main vers l’autre, à rapprocher, à enthousiasmer notre prochain et à inspirer. S’il n’y a qu’un seul dirigeant dans le monde juif anglais et qu’il s’agit du grand rabbin, alors j’aurais échoué. Car ma plus grande ambition, ce n’est pas mon succès mais votre succès.

Je fais appel à nos éducateurs : voyons de quelle façon nous pouvons faire en sorte que tout le monde éducatif juif anglais soit plus grand que les parties qui la composent. Voyons de quelle façon nous pouvons rapprocher l’école, la synagogue et le foyer juif pour qu’ils puissent se renforcer mutuellement.

Je fais appel à nos dirigeants : travaillons ensemble pour planifier, non pas pour aujourd’hui ou pour demain, mais pour la génération à venir. Commençons dès maintenant à recruter les dirigeants dans dix ou vingt ans. Soyons moins prudents, moins cloisonnés, moins craintifs d’expérimenter et ouvert aux débats. Par-dessus tout, je fais appel à chaque membre de la communauté juive anglaise de se joindre à moi pour renouveler cette belle communauté. Je ne peux pas, et je n’essaierai jamais, de diriger tout seul. Je fais appel non pas à votre appréciation mais à votre participation. Je réussirai uniquement si vous rejoignez les rangs des hommes d’action. Je fais appel à chaque groupe de la communauté pour commencer cette année le processus de définir les objectifs et de construire les plans. Devenons des architectes de l’avenir juif anglais.

“Une décennie de renaissance” : je choisis le mot renaissance avec beaucoup de soin. Le judaïsme reconnaît non pas le chinoui, mais le ‘hiddouch, nonpas le changement mais la revitalisation. Et si nous ne renouvelons pas nos institutions, elles mourront d’une mort lente de non-pertinence croissance. Il existe plus d’une façon de construire une synagogue, de mener un office, d’enseigner la Torah ou de construire une institution communautaire. Chaque année, Roch Hachana nous révèle que nous vivons maintenant, non pas il y a un siècle. Nous devons trouver mille et une façons de laisser la prière parler à nos âmes, l’étude à nos esprits et les mitsvot à nos vies ; et, si elles échouent, nous devons trouver mille et une autres façons. Notre communauté a été infiniment enrichie ces dernières années par les yéchivot, les mouvements ‘Hassidiques, les programmes de rapprochement communautaire et les nouvelles initiatives informelles d’aide à l’éducation pour adultes. Je vois dans chacun de ces développements une source infinie d’énergie spirituelle, et j’aimerais libérer toute cette énergie spirituelle afin que le judaïsme vive comme s’il avait été donné aujourd’hui.

Que devrions-nous espérer accomplir ?

Un judaïsme anglais dans lequel nous sollicitons chaque juif avec amour et respect.

Un judaïsme anglais dans lequel nous ne prétendons pas que tout va bien dans notre communauté tant que certains groupes se sentent négligés ; et il existe des groupes qui se sentent laissés pour compte : les femmes, les jeunes, les intellectuels, les gens moins aisés, les provinces, les petites communautés.

Un judaïsme anglais dans lequel le judaïsme nous met au défi au plus profond de nos esprits, de nos cœurs et de nos âmes.

Un judaïsme anglais dans lequel nous valorisons les réussites d’autrui, car nous ne sommes pas menacés, mais inspirés par les diverses manières de servir D.ieu.

Un judaïsme anglais dans lequel, précisément en tant que juifs engagés, nous apportons une contribution unique à l’Angleterre en tant que société emplie de compassion.

Un judaïsme anglais dans lequel nous rassemblons toutes nos capacités de leadership, de créativité et d’énergie au service du divin.

Un judaïsme anglais fait de portes ouvertes, de cœurs ouverts, et d’esprits ouverts : ouverts à l’amour de D.ieu, de la Torah et du peuple juif.

C’est un petit ordre du jour. Peut-il être seulement accompli ? Ein hakodoch baroukh hou babetyrunia im beriyotav. D.ieu ne donne jamais de tâches qui ne peuvent être accomplies. Ne pensez jamais un seul instant que nous ne pourrons pas y arriver.

En tant que grand rabbin, vous m’avez donné le plus précieux cadeau : celui du temps. L’un de mes prédécesseurs, de mémoire bénie, a dit : “Les grands rabbins ne prennent jamais leur retraite et ne meurent que rarement.” Et bien, tous les hommes sont mortels, et de nos jours, les grands rabbins prennent leur retraite. Étonnamment, depuis 1845, il n’y a eu que cinq grands rabbins, et je suis le sixième. Vous m’avez donné le mandat de construire pour l’avenir. Ce que je ne peux accomplir cette année, j’y travaillerai l’année prochaine. Je reconnais les problèmes. Nous sommes une communauté en déclin et vieillissante. Nous sommes en pleine récession. Nous devons travailler avec des ressources limitées. Il existe dans notre communauté des attitudes et des divisions qui prendront du temps à changer. Je regarde ma tâche avec les yeux ouverts. Je ferai des erreurs, mais j’apprendrai d’elles. J’aurai des échecs, mais j’essaierai à nouveau, d’une autre façon, à un autre moment. Mais je ne renoncerai jamais, je ne me reposerai jamais, et je ne désespérerai jamais. Si nous ne sommes pas tenus de terminer le travail, nous ne sommes pas libres de nous en dispenser.

Ensemble, nous avons de grandes choses à accomplir. Il s’agit d’un moment rare et unique dans l’histoire du peuple juif. C’est seulement à deux reprises dans notre longue histoire en tant que peuple que nous avons eu la chance de pratiquer le judaïsme en toute liberté et dans le contexte de l’État d’Israël souverain. Pendant plus de 2000 ans, nous avons prié pour que cela nous soit accordé à nouveau, et maintenant que cela s’est produit, nous ne devons pas faillir à ce défi d’et ratson, cette fenêtre d’opportunité. Nous n’échouerons pas. Car haba letaher mesayin oso; car D.ieu aide ceux qui se tournent vers Lui ; et Il ne laisse jamais échouer ceux qui Le sollicitent. Nous réussirons car ein bererrah : cette fois-ci, il n’y a pas d’autre choix que de réussir.

Travaillons ensemble pour préparer et créer une décennie de renaissance de leadership juif, d’éducation et de spiritualité juives. Et que D.ieu, qui n’abandonnera pas Son peuple, fasse reposer Son esprit dans l’ouvrage de nos mains.