Transformer les malédictions en bénédictions

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Chémot

La Genèse se termine sur une note presque sereine. Jacob a retrouvé son fils qu’il avait perdu depuis si longtemps. La famille a été réunie. Joseph a pardonné à ses frères. C’est sous sa protection et son influence que la famille s’est installée à Gochen, l’une des régions les plus prospères d’Égypte. Ils ont maintenant des maisons, des propriétés, de la nourriture, la protection de Joseph et la faveur de Pharaon. Il semblerait que ce soit l’âge d’or de l’histoire de la famille d’Abraham.

Puis, comme cela est arrivé si fréquemment depuis, “Un roi nouveau s’éleva sur l’Égypte, lequel n’avait point connu Joseph” (Ex. 1:8). Il y eut un changement de climat politique. La famille perdit les faveurs de Pharaon. Ce dernier dit à ses conseillers: “Voyez, le peuple d’Israël surpasse et domine la nôtre” , la première fois que le mot “peuple” est utilisé dans la Torah en référence aux enfants d’Israël. “Usons d’expédients contre elle ; autrement, elle s’accroîtra encore” (Exode 1:9-10). C’est ainsi que tout le mécanisme d’oppression s’enclencha : travaux forcés qui se transformèrent en esclavage, et qui devinrent une tentative de génocide.

L’histoire est gravée dans notre mémoire. Nous la racontons chaque année, et nous la résumons dans nos prières chaque jour. Cela fait partie intégrante de l’identité juive. Mais il y a une phrase qui se démarque du récit : “Mais, plus on l’opprimait, plus sa population grandissait et débordait”. Cela fait partie de la vie juive, tout comme l’oppression elle-même. Plus les choses s’aggravent, plus nous devenons forts. Les juifs sont ceux qui non seulement survivent, mais qui prospèrent dans l’adversité.
L’histoire juive n’est pas uniquement une histoire de juifs qui subissent des catastrophes à même d’éteindre des groupes moins endurants. Après chaque désastre, les juifs se sont renouvelés. Ils ont découvert un réservoir spirituel jusqu’alors caché, alimentant de nouvelles formes d’expression collectives en tant qu’ambassadeurs du message de D.ieu au monde.

De chaque tragédie émergea une nouvelle créativité. Après la division du royaume consécutive à la mort de Salomon, les grands prophètes se dévoilèrent, Amos et Osée, Isaïe et Jérémie. Après la destruction du premier Temple et l’exil babylonien, vint le renouvellement de la Torah dans la vie de la nation, commençant avec Ézéchiel et atteignant son apogée avec le vaste programme éducatif acheminé en Israël par Ezra et Néhémia. L’immense littérature du judaïsme rabbinique a vu le jour à la suite de la destruction du deuxième Temple, préservée majoritairement jusqu’alors par la tradition orale : la Michna, le Midrach et la Guémara.

Les Hassidim ashkénazes, cette école de piété et de spiritualité d’Europe du Nord, ont émergé des croisades. À la suite de l’expulsion des Juifs d’Espagne est arrivé le cercle mystique de Safed, la Kabbale lourianique, qui a inspiré le chemin de la poésie et de la prière. De l’Europe de l’Est en proie aux persécutions et à la pauvreté, est né le mouvement hassidique et son renouvellement des racines juives au moyen d’un flot apparemment illimité d’histoires et de chansons. Et de la pire tragédie de toute l’histoire de l’humanité, l’Holocauste, l’État d’Israël est né, la plus grande affirmation collective juive de la vie depuis plus de deux mille ans.

Il est connu que l’idéogramme chinois pour “crise” signifie également “opportunité”. Toute civilisation qui peut percevoir la bénédiction dans la malédiction, le fragment de lumière parmi le cœur des ténèbres, a en son sein une capacité de résistance. L’hébreu va encore un cran plus loin. Le mot pour signifier la crise, machber, veut également dire “un fauteuil d’accouchement”. L’idée que la souffrance des moments difficiles est une expression collective d’une femme qui accouche est écrit dans la sémantique de la conscience juive. Quelque chose de nouveau est né. C’est l’état d’esprit d’un peuple de qui on peut dire “plus on l’opprimait, plus sa population grandissait et débordait”.

Mais d’où est venue cette capacité juive de transformer la faiblesse en force, l’adversité en avantage, les ténèbres en lumière ? Cela remonte au moment où notre peuple a reçu son nom, Israël. À ce moment-là, alors que Jacob s’est battu seul avec un ange durant la nuit, l’aube se profila, et son adversaire l’a alors supplié de le laisser partir. “Je ne te laisserai point, que tu ne m’aies béni” dit Jacob (Gen. 32:27). Telle est la source de notre obstination étrange et distinctive. Nous avons peut-être combattu toute la nuit. Nous sommes peut-être fatigués et proches de l’épuisement. Nous boitons peut-être, comme Jacob. Mais nous ne laisserons pas notre adversaire partir avant d’avoir retiré une bénédiction de la rencontre. Cela ne s’est guère avéré être une concession mineure et temporaire. Elle est devenue la base de son nouveau nom et de notre identité. Israël, le peuple “qui a jouté contre des puissances célestes et humaines et qui est resté fort” (Gen. 32:29), est un peuple qui grandit et devient plus fort après chaque conflit et catastrophe.

On me rappela cette caractéristique nationale inhabituelle dans un article paru dans la presse britannique en octobre 2015. À ce moment-là, Israël subissait une vague d’attaques terroristes palestiniennes qui tua de nombreux civils innocents dans les rues et les stations de bus à travers le pays. L’article débuta en ces termes : “Israël est un pays magnifique, débordant d’énergie et de confiance, un aimant pour le talent et l’investissement, un chaudron d’innovation”. Il traitait de l’excellence internationale en aérospatial, en cleantech, en systèmes d’irrigation, en software, en cybersécurité, en pharmaceutique et en systèmes de défenses .

L’auteur en déduit que “tout cela dérive de l’intelligence, car Israël n’a aucune ressource naturelle et est entouré de voisins hostiles.” Le pays est une preuve vivante du “pouvoir de l’éducation technique, de l’immigration, et des bénéfices du bon type de service militaire.” Mais cela ne peut pas être tout, car les juifs se sont constamment surpassés dans leurs réalisations, partout et dès qu’ils en eurent l’opportunité. Le journaliste passe en revue plusieurs facteurs explicatifs : la force des familles juives, leur passion pour l’éducation, un désir de travailler à son compte, la prise de risque comme philosophie de vie, et même l’histoire ancienne. Le Levant était le berceau des premières sociétés agricoles et des premiers commerçants. Il est probable que la tendance à l’entreprenariat fut inscrite dans l’ADN juif il y a des millénaires. Cependant, il conclut finalement que cela a à voir avec “la culture et les communautés”.
Un élément-clé de cette culture est en lien avec la réponse juive aux crises. Dans chaque circonstance défavorable, ceux qui ont hérité des sensibilités de Jacob insistent : “Je ne te laisserai point avant que tu ne m’aies béni”. C’est comme cela que les juifs qui entrèrent dans le Néguev parvinrent à faire fleurir le désert. Après avoir constaté un paysage aride et négligé, ils plantèrent des arbres et des forêts.

Confrontés à des armées hostiles à toutes leurs frontières, ils développèrent des technologies militaires qu’ils employèrent ensuite à des fins pacifiques. La guerre et le terrorisme les ont poussés à développer une expertise médicale et des compétences de renommée internationale pour traiter les séquelles des traumatismes. Ils sont parvenus à transformer n’importe quelle malédiction en bénédiction. Comme d’habitude, l’historien Paul Johnson l’a dit avec tant d’éloquence :

Depuis plus de 4000 ans, les juifs ne se sont pas seulement révélés être de grands survivants, mais également particulièrement capables de s’adapter aux sociétés dans lesquelles le destin les a placés, en fournissant tous les efforts humains qu’ils avaient à offrir. Aucun autre peuple n’a été aussi fécond pour enrichir la pauvreté ou humaniser la richesse, ou en transformant les malheurs en créativité.

Il existe quelque chose de profondément spirituel et de très pratique dans cette capacité à faire évoluer les mauvais moments de la vie en impulsion de créativité. C’est comme si, ancrée en notre for intérieur, une voix s’exclamait : “Tu es dans cette situation, aussi grave soit-elle, car il existe une tâche à accomplir, une compétence à acquérir, une force à développer, une leçon à apprendre, un mal à corriger, un éclat de lumière à sauver, une bénédiction à découvrir, car je t’ai choisi pour livrer un témoignage à l’humanité selon lequel, parmi les souffrances, des bénédictions en jaillissent si vous leur faites face suffisamment longtemps avec une foi inébranlable”.

À une époque où les gens violents commettent des actes de brutalité au nom du D.ieu de miséricorde, le peuple d’Israël démontre au quotidien que cela n’est pas le chemin du D.ieu d’Abraham, du D.ieu de la vie et de la sainteté de la vie. Et lorsque nous qui faisons partie de ce peuple perdons foi, et nous demandons quand tout cela se terminera, nous devrions nous rappeler des paroles suivantes : “Mais, plus on l’opprimait, plus sa population grandissait et débordait”. Un peuple sur lequel on peut dire qu’il peut être blessé, mais jamais vaincu. Le chemin de D.ieu est le chemin de la vie.


[1] Ex. 1:9. Il s’agit de la première indication de l’histoire de ce qui a pris forme, à l’ère moderne, de la contrefaçon russe, les Protocoles des Sages de Sion. Dans la diaspora, les juifs, sans ressources, étaient souvent perçus comme tout-puissants. Cela veut dire, en règle générale, lorsque c’est traduit :comment les juifs ont réussi à se défaire du statut de paria qui leur a été assigné ?

[2] Luke Johnson, ‘Animal Spirits: Israel and its tribe of risk-taking entrepreneurs,’ Sunday Times, 4 October 2015.

[3] Paul Johnson, The History of the Jews, London, Weidenfeld and Nicolson, 1987, p. 58


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Questions à poser à la table de Chabbath
  1. Pourquoi pensez-vous que la tragédie peut mener à la créativité ? 
  2. Avez-vous vécu cela dans votre vie ou avec des gens dans votre vie ? 
  3. Quels exemples de ce phénomène, celui de transformer des malédictions en bénédictions, pouvez-vous retrouver dans l’histoire juive ? 

With thanks to the Schimmel Family for their generous sponsorship of Covenant & Conversation, dedicated in loving memory of Harry (Chaim) Schimmel.

“I have loved the Torah of R’ Chaim Schimmel ever since I first encountered it. It strives to be not just about truth on the surface but also its connection to a deeper truth beneath. Together with Anna, his remarkable wife of 60 years, they built a life dedicated to love of family, community, and Torah. An extraordinary couple who have moved me beyond measure by the example of their lives.” — Rabbi Sacks

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