Recadrage

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Vayigach

Maïmonide qualifiait son être préféré – le sage – un rofé néfachot, “un guérisseur d’âmes”[1]. Aujourd’hui, nous qualifions une telle personne de psychothérapeute, un nom apparu assez récemment issu du mot grec psyché, qui signifie “âme”, et thérapie, “guérison”. Il est frappant de constater le nombre de médecins de l’âme pionniers juifs de l’ère contemporaine.

Les premiers psychanalystes étaient presque tous juifs ; parmi eux, Sigmund Freud, Alfred Adler, Otto Rank, et Melanie Klein. Ce phénomène était si évident que la psychanalyse était connue en Allemagne nazie comme la “science juive”. Les contributions juives les plus récentes incluent Solomon Asch sur la conformité, Lawrence Kohlberg sur la psychologie du développement et Bruno Bettelheim sur la psychologie de l’enfant. Leon Festinger a inventé le concept de la dissonance cognitive, Howard Gardner l’idée des intelligences multiples, et Peter Salovey et Daniel Goleman l’intelligence émotionnelle. Abraham Maslow nous a donné un nouvel aperçu sur la motivation, comme ce fut le cas de Walter Mischel sur le contrôle de soi via le fameux “test de la guimauve”. Daniel Kahneman et Amos Tversky nous ont donné une théorie prospective et l’économie comportementale. Plus récemment, Jonathan Haidt et Joshua Green furent les pionniers de l’étude empirique des émotions morales. Et la liste est encore longue.

À mon avis, l’une des contributions juives les plus importantes est apparue par l’entremise de trois personnages hors du commun : Viktor Frankl, Aaron T. Beck et Martin Seligman. Frankl a créé la méthode connue sous le nom de la logothérapie, basée sur la quête du sens. Beck fut le co-créateur de la forme de traitement la plus efficace, la thérapie cognitive comportementale. Seligman nous a donné la psychologie positive, c’est-à-dire la psychologie non pas en tant que cure anti-dépression, mais comme moyen d’atteindre le bonheur ou de se développer à travers un optimisme acquis.

Il existe des approches différentes, mais elles ont toutes un élément en commun. Elles sont basées sur la croyance – établies bien avant dans la ‘Hassidout ‘Habad, dans le Tanya de Rabbi Shneur Zalman de Liadi – que si nous changeons la façon dont nous pensons, nous changerons la manière dont nous ressentons les choses. Cela fut dès le départ une proposition révolutionnaire changeant résolument des autres théories de la psyché humaine. Il y avait ceux qui croyaient que nos personnalités étaient déterminées par les facteurs génétiques. D’autres pensaient que notre vie émotive était gérée par nos expériences d’enfance et nos pulsions inconscientes. D’autres encore, plus communément Ivan Pavlov, croyaient que le comportement humain était déterminé par le conditionnement. Dans toutes ces théories, notre liberté humaine est sérieusement circonscrite. Ce que nous sommes, la façon dont nous nous sentons, sont largement déterminés par des facteurs autres que la conscience humaine.

Ce fut Viktor Frankl qui montra qu’il existait un autre voie, et il l’a fait dans les pires conditions jamais subies par des êtres humains : Auschwitz. Déporté là-bas, Frankl découvrit que les nazis s’étaient emparés de presque tout ce qui rendait les gens humains : leurs biens, leurs vêtements, leurs cheveux, leurs noms. Avant d’être envoyé à Auschwitz, Frankl était un thérapeute spécialisé dans le traitement des individus aux tendances suicidaires. Dans le camp, il s’est voué du mieux possible à donner à ses confrères le désir de vivre, sachant qu’en le perdant, ils allaient mourir.

Il fit une découverte fondamentale par laquelle il devint célèbre :

Nous qui avons vécu dans des camps de concentration pouvons nous rappeler les hommes qui passaient de baraquement en baraquement pour réconforter les autres, renonçant à leur dernier morceau de pain. Ils avaient beau être peu en nombre, ils offraient une preuve suffisante que tout peut être pris à un être humain sauf une chose : la dernière des libertés humaines, choisir notre attitude dans n’importe quel type de circonstance, choisir notre propre chemin[2].

Ce qui a fait la différence et ce qui a donné aux gens la volonté de vivre fut la croyance qu’il y avait une tâche à faire, une mission à accomplir qu’ils n’avaient pas encore complété et qui les attendait à l’avenir. Frankl découvrit que “l’important n’était pas ce que nous attendions de la vie, mais plutôt ce que la vie attendait de nous”[3]. Il y avait des gens dans le camp qui avaient tant perdu espoir qu’ils n’avaient plus rien à attendre de la vie. Frankl avait réussi à leur faire voir que “la vie attendait toujours quelque chose d’eux”. L’un d’entre eux par exemple avait un enfant toujours vivant dans un autre pays qui l’attendait. Un autre a réalisé qu’il avait des livres à écrire que personne d’autre ne pouvait écrire. À travers ce sens de l’avenir qui les appelait, Frankl fut capable de les aider à découvrir le sens de leur vie, même dans la vallée de l’ombre de la mort.

Le changement de perspective que cela impliquait est devenu connu, en particulier dans la thérapie cognitive comportementale, sous l’appellation de recadrage. Tout comme la peinture peut avoir l’air différente lorsqu’elle est placée dans un cadre différent, la vie peut l’être aussi. Les faits ne changent pas, mais la manière dont nous percevons les choses peut changer. Frankl écrit qu’il fut quotidiennement capable de survivre à Auschwitz en s’imaginant être dans une université en train de donner un cours sur la psychologie des camps de concentration. Tout ce qui lui arrivait fut transformé par ce seul changement de perspective en une série d’illustrations des points qu’ils soulevaient dans son cours. “Par cette méthode, j’ai réussi tant bien que mal à m’élever au-delà de la situation, au-delà des souffrances du moment, et je les ai observées comme si elles faisaient partie du passé”[4]. Le recadrage nous révèle que bien que nous ne pouvons pas toujours changer les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons, nous pouvons changer la manière dont nous les percevons, et cela change la manière dont nous nous sentons.

Mais cette découverte moderne est véritablement une redécouverte, car le premier recadreur de l’histoire fut Joseph, comme cela est décrit dans cette paracha et la suivante. Rappelez-vous des événements. Il a été vendu comme esclave par ses frères. Il avait perdu sa liberté pendant treize ans, et avait été séparé de sa famille pendant vingt-deux ans. On pourrait aisément comprendre qu’il éprouvait alors du ressentiment ou un désir de vengeance à l’encontre de ses frères. Mais il a surpassé de ce genre de sentiments, et il est parvenu à le faire en changeant ses expériences de cadre. Voilà ce qu’il dit à ses frères lorsqu’il leur révèle son identité pour la première fois:

“Je suis Joseph, votre frère que vous avez vendu pour l’Égypte. Et maintenant, ne vous affligez point, ne soyez pas irrités contre vous-mêmes de m’avoir vendu pour ce pays ; car c’est pour le salut que le Seigneur m’y a envoyé avant vous… Le Seigneur m’a envoyé avant vous pour vous préparer une ressource dans ce pays et pour vous sauver la vie… Non, ce n’est pas vous qui m’avez fait venir ici, c’est D.ieu.

Gen. 45:4–8

Et voici ce qu’il dit des années plus tard, après la mort de leur père Jacob, alors que ses frères ont peur qu’il ne se venge :

Soyez sans crainte ; car suis-je à la place de D.ieu ? Vous, vous aviez fomenté contre moi le mal : D.ieu l’a combiné pour le bien, afin qu’il arrivât ce qui arrive aujourd’hui, qu’un peuple nombreux fut sauvé. Donc, soyez sans crainte : j’aurai soin de vous et de vos familles.”

Gen. 50:19–21

Joseph avait recadré tout son passé. Il ne se voyait plus comme un homme maltraité par ses frères. Il se considéra dorénavant comme un homme chargé d’une mission de vie par D.ieu. Tout ce qu’il lui était arrivé s’avéra nécessaire afin d’accomplir sa mission dans sa vie : sauver une région entière de la famine et offrir un refuge à sa famille.

Cet acte de recadrage permit à Joseph de vivre sans nourrir de sentiment de colère et d’injustice. Cela lui permit de pardonner à ses frères et de se réconcilier avec eux. Cela transforma les énergies négatives des sentiments orientés vers le passé en attentions focalisées vers l’avenir. Sans le savoir, Joseph était devenu le précurseur de l’un des grands mouvements de psychothérapie des temps modernes. Il a montré le pouvoir du recadrage. Nous ne pouvons pas changer l’avenir. Mais en changeant la manière dont nous pensons le passé, nous pouvons changer l’avenir.

Peu importe la situation dans laquelle nous nous trouvons : en la recadrant, nous changeons toute notre réponse, en nous donnant la chance de survivre, le courage de persister, et la résilience d’émerger, à l’opposé des ténèbres, dans la lumière d’un jour nouveau et meilleur.


[1] Rambam, Chemoné Pérakim, Ch. 3.

[2] Viktor Frankl, Man’s Search for Meaning, 75.

[3] Ibid., 85.

[4] Ibid., 82.


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Questions à poser à la table de Chabbath

1. Pensez-vous qu’il était difficile pour Joseph de pardonner à ses frères ? Pourquoi était-ce important pour lui de le faire ?

2. Croyez-vous que votre vie comprenne une tâche et une mission qui lui donne du sens ? 

3. Pouvez-vous penser à quelque chose de mal qui vous soit arrivé qui peut être recadré avec du recul ? De quelle façon le recadrage peut-il aider ? 

With thanks to the Schimmel Family for their generous sponsorship of Covenant & Conversation, dedicated in loving memory of Harry (Chaim) Schimmel.

“I have loved the Torah of R’ Chaim Schimmel ever since I first encountered it. It strives to be not just about truth on the surface but also its connection to a deeper truth beneath. Together with Anna, his remarkable wife of 60 years, they built a life dedicated to love of family, community, and Torah. An extraordinary couple who have moved me beyond measure by the example of their lives.” — Rabbi Sacks

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