Pourquoi le judaïsme?

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Nitsavim

La paracha de cette semaine soulève une question qui se trouve au cœur du judaïsme, mais qui ne fut pas posée durant plusieurs siècles jusqu’à ce qu’elle le soit par un grand sage espagnol du quinzième siècle, Rabbi Isaac Arama. Moïse arrive presque à la fin de sa vie. Le peuple s’apprête à traverser le Jourdain et à pénétrer en Terre promise. Moïse sait qu’il doit faire une chose avant de mourir. Il doit renouveler l’alliance entre le peuple et D.ieu.

Les parents de cette nation avaient conclu un engagement presque quarante ans auparavant lorsqu’ils se tenaient au mont Sinaï, s’exclamant : “Tout ce qu’a prononcé l’Éternel, nous l’exécuterons docilement.” (Exode 24:13) Mais maintenant, Moïse devait s’assurer que la prochaine génération ainsi que toutes les générations à venir y seraient astreintes. Il ne voulait pas que quelqu’un puisse dire : “D.ieu a conclu une alliance avec mes ancêtres, mais pas avec moi. Je n’ai pas donné mon consentement. Je n’étais pas là. Je n’ai aucune obligation”. C’est la raison pour laquelle Moïse s’exclame:

Et ce n’est pas avec vous seuls que j’institue cette alliance et ce pacte ; mais avec ceux qui sont aujourd’hui placés avec nous, en présence de l’Éternel, notre D.ieu, et avec ceux qui ne sont pas ici, à côté de nous, en ce jour.

Deutéronome 29:13-14

L’expression “Ceux qui ne sont pas à côté de nous en ce jour” ne peut pas signifier les Israélites de l’époque qui se trouvaient ailleurs à ce moment-là. Toute la nation était présente à l’assemblée. Cela signifie “les générations qui ne sont pas encore nées”. C’est la raison pour laquelle le Talmud affirme que: nous sommes tous des mushba ve-omed meHar Sinaï “obligés du Sinaï” (Yoma 73b, Nédarim 8a)

Il s’agit de l’un des faits les plus fondamentaux du judaïsme : à l’exception des convertis, nous ne choisissons pas d’être juifs. Nous sommes nés en tant que juifs. Nous devenons des adultes légaux, soumis à des commandements, à l’âge de douze ans pour les filles, et de treize ans pour les garçons. Mais nous faisons partie de l’alliance depuis la naissance. Une bat mitsva ou une bar mitsva n’est pas une “confirmation”. Elle n’implique aucune acception volontaire d’identité juive. Ce choix a eu lieu il y a presque trois mille ans lorsque Moïse a dit : “Et ce n’est pas avec vous seuls que j’institue cette alliance et ce pacte… et avec ceux qui ne sont pas ici, à côté de nous, en ce jour”, soit toutes les générations à venir.

Comment peut-il en être ainsi ? Il n’y a aucune obligation sans consentement. Comment pouvons-nous être soumis à un engagement sur la seule base d’une décision qui a été prise il y a très longtemps par nos ancêtres ? Selon la loi juive, vous pouvez conférer un bénéfice à quelqu’un sans son consentement. Mais bien qu’être juif soit un atout à tous points de vue, c’est également une responsabilité, une restriction sur notre éventail de choix légitimes. Pourquoi sommes-nous donc astreints à ce que les Israélites ont dit à l’époque ?

Pour les juifs, il s’agit de la question ultime. Comment est-ce que l’identité religieuse peut-elle être transmise de parent à enfant ? Si l’identité était purement ethnique, nous pourrions le comprendre. Nous héritons de beaucoup de choses de nos parents, incluant leurs gènes, bien évidemment. Mais être juif n’est pas une condition génétique. Il s’agit d’une série d’obligations religieuses.

Les Sages donnèrent une réponse sous la forme d’une tradition dans la paracha de la semaine. Ils dirent que toutes les âmes des générations à venir furent présentes au mont Sinaï. En tant qu’âmes, elles donnèrent leur consentement, avec tout leur libre arbitre, des générations avant qu’elles ne soient nées. (Chavouot 39a)

Cependant, Arama explique que cela ne peut pas répondre à notre question, puisque l’alliance de D.ieu ne se place pas uniquement au niveau des âmes, mais bien avec les êtres humains en bonne et due forme. Nous sommes des êtres physiques avec des désirs physiques. Nous pouvons comprendre que l’âme donna son accord à s’engager dans l’alliance. Qu’est-ce que l’âme désire de plus qu’une proximité avec D.ieu ?[1] Mais le consentement qui compte est celui des êtres humains qui respirent, avec un corps, et nous ne pouvons pas prendre pour acquis qu’ils consentiraient à la Torah avec ses nombreuses restrictions sur la nourriture, la boisson, les relations maritales et tout le reste. Ce n’est qu’après notre naissance, une fois que nous sommes suffisamment mûrs pour comprendre les attentes à notre égard, que nous pouvons donner notre consentement d’une façon qui nous engage réellement. Ainsi, le fait que les générations à naître soient présentes à la cérémonie de l’alliance de Moïse ne fournit pas la réponse dont nous avons besoin.

En fait, Arama se demandait : pourquoi être juif ? Ce qui est fascinant, c’est qu’il est le premier à répondre à cette question depuis l’époque du Talmud. Pourquoi ne fut-elle pas posée auparavant ? Pourquoi fut-elle posée uniquement dans l’Espagne du quinzième siècle ? Pendant plusieurs siècles, la question “Pourquoi être juif ?” n’a pas été soulevée. La réponse était évidente. Je suis juif parce que mes parents l’étaient et les leurs avant eux, depuis la nuit des temps juifs. Les questions existentielles sont soulevées seulement lorsque nous ressentons qu’il y a un choix à faire. Pour la grande majorité de l’Histoire, être juif n’était pas un choix. C’était un état de fait de naissance, un sort, une destinée. Ce n’était pas quelque chose que vous choisissiez, pas plus que vous ne choisissiez de naître.

En Espagne du quinzième siècle, les juifs furent confrontés à un choix. Les juifs espagnols ont subi leur “nuit de Cristal” en 1391, et après, jusqu’en 1492, les juifs se sont retrouvés exclus de plus en plus de sphères de la vie publique. Il y avait des pressions immenses poussant à se convertir, et certains l’ont effectivement fait. Certains d’entre eux ont gardé leur identité juive secrète, mais d’autres ne l’ont pas fait. Pour la première fois depuis plusieurs siècles, rester juif fut considéré non pas comme un destin, mais comme un choix. C’est la raison pour laquelle Arama a soulevé la question qui ne fut pas posée pendant tellement de temps. C’est également la raison pour laquelle cette question revient d’actualité, à notre époque où tout ce qui est important semble être sujet au choix.

Arama a posé une question. J’ai posé la mienne dans mon livre A Letter in the Scroll[2]. Mais je crois également qu’une grande partie de la réponse se loge dans ce que Moïse lui-même a dit à la fin de son discours.

J’en atteste sur vous, en ce jour, le ciel et la terre : j’ai placé devant toi la vie et la mort, le bonheur et la calamité ; choisis la vie ! Et tu vivras alors, toi et ta postérité.

Deutéronome 30:19

Choisissez la vie. Aucune religion, aucune civilisation n’a insisté aussi vigoureusement et avec autant de constance que nous pouvons choisir. Nous avons en nous, dit Maïmonide, le potentiel d’être vertueux comme Moïse ou impie comme Jéroboam[3]. Nous pouvons être grands. Nous pouvons être médiocres. Nous pouvons choisir.

Les anciens, avec leur croyance dans le destin, la bonne fortune, Moira, Ananke, l’influence des étoiles sur l’état arbitraire de la nature, ne croyaient pas vraiment au libre arbitre de l’homme. Selon eux, la vraie liberté signifiait, si vous étiez religieux, d’accepter le destin, et si vous étiez philosophes, la conscience de la nécessité. Et c’est la même chose chez les scientifiques athées que nous connaissons aujourd’hui. Ils expliquent que nous sommes déterminés par nos gènes. Notre destin est déjà écrit à l’avance dans notre ADN. Le choix est une illusion de l’esprit conscient. C’est un leurre que l’on se raconte à nous-même.

Le judaïsme répond par la négative à cela. Le choix est comme un muscle : utilisez-le ou perdez-le. La loi juive est un exercice constant de la volonté. Pouvez-vous manger tel aliment et non tel autre ? Pouvez-vous faire des exercices spirituels trois fois par jour ? Pouvez-vous vous reposer un jour sur sept ? Pouvez-vous reporter la gratification de l’instinct, ce que Freud désignait comme étant la marque de la civilisation ? Pouvez-vous pratiquer la maîtrise de soi (qui, selon le “test du marshmallow” est le signe le plus certain d’un succès à venir dans la vie) ?[4] Être juif signifie aller à contre-courant, ne pas faire ce que les autres font simplement “parce que”. Le judaïsme nous donne 613 exercices de la force de la volonté pour façonner nos choix. C’est la raison pour laquelle D.ieu et nous devenons des co-auteurs de nos vies. “Nous devons être libres”, a dit Isaac Bashevis Singer, “nous n’avons pas le choix !”

Choisissez la vie. Dans plusieurs autres religions, la vie ici-bas avec ses amours, ses pertes, ses triomphes et ses défaites, ne constitue pas la plus grande valeur. La paradis se trouve dans la vie après la mort, ou l’âme dans une communion intacte avec D.ieu, ou en acceptation du monde qui nous entoure. La vie est éternité, la vie est sérénité, la vie est dénuée de douleur. Mais cela ne représente pas la vie dans le judaïsme. Elle est peut-être noble, spirituelle, sublime, mais ce n’est pas la vie dans toutes ses passions, ses responsabilités et ses risques.

Le judaïsme enseigne comment trouver D.ieu ici-bas et pas au paradis. Il signifie s’engager dans la vie, et non pas y prendre refuge. Il recherche moins le bonheur que la joie, celle d’être avec les autres et de construire avec eux une bénédiction sur la vie. Il signifie prendre le risque d’aimer, de s’engager, d’être loyal. Il signifie vivre pour quelque chose de plus élevé que la quête du plaisir et du succès. Cela revient à oser “en grand”.

Le judaïsme ne nie pas le plaisir, car il n’est pas ascète. Mais il ne le vénère pas. Le judaïsme n’est pas hédoniste ; il sanctifie plutôt le plaisir. Il fait descendre la présence divine dans les actions physiques les plus communes : manger, boire, relations intimes. Nous ne trouvons pas uniquement D.ieu dans les synagogues, mais dans le foyer, la maison d’étude et dans les actes de bonté. Nous trouvons D.ieu dans la communauté, dans l’hospitalité et partout où nous pouvons raccommoder certaines blessures de ce monde.

Aucune autre religion n’a autant eu d’estime pour l’être humain. Nous ne sommes pas souillés par le péché originel. Nous ne sommes pas qu’un simple amalgame de gènes égoïstes. Nous ne sommes pas qu’une forme de vie sans conséquence perdue dans l’immensité de l’univers. Nous sommes l’être créé à l’image de D.ieu. Nous sommes le peuple que D.ieu a choisi pour être Son partenaire dans l’œuvre de la création. Nous sommes la nation que D.ieu a épousée au mont Sinaï, avec la Torah comme contrat de mariage. Nous sommes le peuple que D.ieu a choisi pour être Son témoin. Nous sommes les ambassadeurs du ciel dans le pays que D.ieu a appelé la terre.

Nous ne sommes pas meilleurs ou pires que les autres. Nous sommes simplement différents, car D.ieu valorise la différence alors que, pour la majorité de l’histoire, les êtres humains ont cherché à éliminer les différences en imposant une seule religion, un seul régime ou un seul empire sur l’humanité. Notre religion est l’une des seules à affirmer que les justes des nations ont leur part au paradis en raison de leurs actions sur terre.

Choisissez la vie. Rien ne semble si simple mais rien n’a été aussi difficile à travers les siècles. Les gens choisissent plutôt un substitut à la vie. Ils sont en quête de richesse, de possessions, de statut, de pouvoir, de célébrité ; et ils font le sacrifice ultime pour ces dieux, réalisant trop tard que la vraie richesse n’est pas ce que vous possédez mais ce pour quoi vous être reconnaissants, que le plus grand statut n’est pas de se soucier du statut, et que leur influence est plus puissante que la force.

Bien que peu de religions soient aussi exigeantes, c’est aussi la raison pour laquelle la plupart des juifs à travers les âges sont restés fidèles au judaïsme, en vivant des vies juives, construisant des foyers juifs et en poursuivant l’histoire juive. C’est la raison pour laquelle, avec une foi aussi inébranlable telle qu’elle a été vérifiée, Moïse fut convaincu que “ce n’est pas avec vous seuls que j’institue cette alliance et ce pacte… et avec ceux qui ne sont pas ici, à côté de nous, en ce jour”. Son cadeau pour nous est qu’en vénérant quelque chose de bien plus grand que nous-mêmes, nous devenons biens plus grands que nous ne l’aurions été.

Pourquoi le judaïsme ? Car il n’y a pas de moyen plus exigeant de choisir la vie. 


[1] Isaac Arama, Akeidat Yitzhak, Deutéronome, Nitsavim.

[2] A Letter in the Scroll: Understanding Our Jewish Identity and Exploring the Legacy of the World’s Oldest Religion(New York: Free Press, 2000). Published in Britain as Radical Then, Radical Now: The Legacy of the World’s Oldest Religion(London: HarperCollins, 2001).

[3] Hilkhot Téchouva 5:2.

[4] Walter Mischel, The Marshmallow Test, Bantam Press, 2014.


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  1. Pourquoi fut-il si important que Moïse renouvela l’alliance avec les enfants d’Israël ? 
  2. Pourquoi pensez-vous que les gens choisissent si souvent d’être en quête de richesse, de pouvoir et de célébrité ? 
  3. Comment pouvons-nous “choisir la vie” ?
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