Les cinq “C” essentiels à notre avenir commun

On 4th February 2002, Rabbi Sacks was addressed the Global Leaders of Tomorrow Summit, by invitation of the World Economic Forum in Davos, Switzerland.

Published 4 February 2002
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Le 4 février 2002, Rabbi Sacks fut invité à tenir une allocution à l’occasion du Sommet des dirigeants mondiaux de demain au Forum économique mondial à Davos, en Suisse


Les événements du 11 septembre nous rappellent une vérité souvent oubliée. Nos connaissances de l’univers sont vastes. Le savoir scientifique double à chaque génération. La puissance informatique double tous les deux ans. Mais il existe un pays qui n’est pas encore découvert. Il s’appelle l’avenir. Vous pouvez savoir tout le reste, mais il y a une chose que nous ne saurons jamais : ce que le lendemain nous réserve. C’est la raison pour laquelle le leadership dans chaque domaine est un proche parent de la foi. La foi n’est pas la certitude. La foi est le courage de vivre dans l’incertitude. Être un dirigeant, c’est avoir ce courage.

Depuis le 11 septembre, nous vivons dans la présence consciente de l’incertitude. Ce que nous voulons dire entre autres par “mondialisation”, c’est précisément l’augmentation accrue de l’incertitude qui est maintenant un aspect inévitable de nos vies. Le rythme effréné des changements technologiques, la volatilité des marchés financiers, la mobilité du capital et de l’emploi ainsi que l’interdépendance de tous ces facteurs font en sorte que tous les aspects de nos vies ou presque sont enclins à des développements inattendus en provenance de destinations imprévisibles. C’est la raison pour laquelle un dialogue est tellement nécessaire entre les dirigeants mondiaux et les dirigeants religieux. Les grandes religions constituent notre plus riche ressource de sagesse et la base de données de notre mémoire collective.

Qu’est-ce qui pourrait ressortir de ce dialogue ? Mon sentiment est que nous nous dirigerions vers ce que j’appelle les cinq “C”, essentiels à notre avenir en commun :

  1. Créativité. Le premier axiome de la Bible est qu’un D.ieu créateur a créé l’humanité à Son image, et a donc fait un homme créateur. Promouvoir la créativité humaine sera crucial au vingt-et-unième siècle et, pour la première fois dans l’histoire, la forme de capital social la plus puissante sera le capital intellectuel.
  2. Coopération. La sociobiologie et le “dilemme du prisonnier renouvelé” nous ont enseigné que l’avantage évolutif exclusif de l’humanité est la coopération. Un homme contre un lion : le lion gagne. Dix hommes contre un lion : le lion perd. Les religions créent des habitudes de coopération. Le mot “religion” est issu du mot latin qui signifie “lier”. Les religions nous lient les uns aux autres. Les économistes d’aujourd’hui qualifient cela de capital social, et cela est aussi vital au progrès social et économique.
  3. Compassion. Les superpuissances économiques ne durent pas : Venise au seizième siècle, les Pays-Bas au dix-septième siècle, la France au dix-huitième siècle, l’Angleterre au dix-neuvième siècle, les États-Unis au vingtième siècle. Les religions perdurent. Le judaïsme existe depuis 4000 ans, le christianisme depuis plus de 2000 ans, et l’islam depuis 1400 ans. Qu’est-ce qui fait que les systèmes religieux perdurent alors que les puissances économiques déclinent et s’éteignent ? Car ce qui fait qu’une civilisation perdure, ce n’est pas le pouvoir mais son souci des démunis ; ce n’est pas la richesse, mais son souci des pauvres ; ce n’est pas la force, mais son souci des personnes fragiles. Les civilisations deviennent invulnérables précisément lorsqu’elles se soucient de ceux qui sont vulnérables. Si ce message religieux essentiel n’est pas entendu, le capitalisme global déclinera et s’éteindra également.
  4. Conversation. Selon la Bible, l’homme fut placé dans le jardin pour le “servir et le protéger”. Nous sommes les gardiens du monde naturel pour le bien des générations à venir. Sans cette idée religieuse, nous aurons une croissance qui ne sera pas durable.
  5. Coexistence. Voici une valeur que les hommes d’affaires doivent enseigner aux dirigeants religieux. Chaque homme d’affaires sait que la différence entre les hommes est la clé de la croissance commerciale. Si nous étions tous parfaits et entiers, nous n’aurions besoin de personne. Le fait que nous soyons tous différents, que nous possédons certaines caractéristiques et pas d’autres, signifie que nous manquons de ce que l’autre possède, et que nous possédons ce dont quelqu’un d’autre a besoin. C’est la base du commerce d’échange : comprendre la valeur de la différence. Ce principe doit maintenant être appliqué à la religion. Les conflits religieux surviennent lorsque les croyants pensent posséder l’intégralité de la vérité. En fait, la vérité ne peut être entièrement perçue que d’un seul point de vue. C’est la raison pour laquelle chaque grande religion a une contribution unique à apporter à l’entièreté du savoir grâce à sa perspective particulière. C’est ce que j’appelle la dignité de la différence. En étant qui nous sommes, nous donnons à l’humanité ce que nous seuls pouvons apporter. Cela signifie que la religion doit à présent valoriser la diversité, au lieu de se battre contre elle. C’est le nouveau paradigme dont nous avons besoin pour éviter “le clash des civilisations”.

Si nous pouvons développer un langage commun autour de ces cinq “C”, ce sera une bonne nouvelle pour le développement mondial, une bonne nouvelle pour la religion, mais une meilleure nouvelle encore pour nos enfants qui ne sont pas encore nés.