Les livres

Published 24 September 2011
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Published in The Times, 24th September 2011

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 Il y a quelque temps, lorsque David Blunkett était le secrétaire d’État pour l’éducation, il annonça qu’il dédiait l’année à venir à une campagne d’alphabétisation. Il me demande si j’avais quelque chose à dire sur l’alphabétisation selon la vision juive. J’ai répondu que le début de l’année académique coïncide presque toujours avec les fêtes juives, la nouvelle année et le jour du Grand pardon. Pendant cette période, nous prions D.ieu de “nous inscrire dans le livre de la vie.” Lorsque les juifs pensent à la vie, je dis qu’ils pensent à un livre. Pour nous, lire, c’est la vie.

Je fus frappé par le plaidoyer poignant de Caitlin Moran en août pour que les bibliothèques locales soient épargnées des coupures budgétaires gouvernementales. Elle a affirmé que les bibliothèques étaient “les cathédrales de l’esprit, les hôpitaux de l’âme, les parcs d’attraction de l’imagination. Sur une île pluvieuse et froide, elles constituent les seuls espaces publics abrités où vous n’êtes pas un consommateur mais un citoyen. Un homme avec un cerveau, un cœur et une soif d’apprendre, plutôt qu’un consommateur avec une carte de crédit”. 

C’est tellement vrai et bien dit. Il est impossible d’exagérer le fait que les juifs soient, selon l’expression coranique consacrée, “le peuple du livre”. J’ai affirmé que le judaïsme a pris le tournant qui est le sien grâce à l’une des grandes révolutions de la technologie de l’information, l’invention de l’alphabet plutôt que les systèmes de symboles de l’écriture cunéiforme des mésopotamiens ou des hiéroglyphes égyptiens.

Afin de comprendre ces systèmes, il fallait mémoriser des centaines de symboles, ce qui veut dire que seule une minorité de la population pouvait le faire. Cela engendrait des élites littéraires et des sociétés hiérarchisées. Le premier alphabet, l’alphabet protosinaïtique, qui est apparu dans le désert du Sinaï il y a à peu près trente-huit siècles, avait plus de vingt symboles. C’est ce que Isaïe a voulu dire lorsqu’il a déclaré : “Tous tes enfants seront les disciples de l’Éternel; grande sera la concorde de tes enfants” (Isaïe 54:13). Depuis le début, le judaïsme était une religion pour laquelle l’éducation était un élément fondamental. “Enseigne à tes enfants”, dit Moïse à maintes reprises. “Tu les inculqueras à tes enfants”, affirme notre plus sainte prière, le Chéma, et “tu t’en entretiendras, dans ta maison, en voyage, en te couchant et en te levant” (Deutéronome 6:7). Le Talmud accorde plus d’importance à l’étude qu’à la prière en tant qu’acte religieux.

L’objet le plus saint du judaïsme est un livre, les rouleaux de la loi. La vénération qu’on leur porte est stupéfiante. Nous nous tenons en sa présence comme si c’était un roi, nous dansons avec elle comme avec notre fiancée, et si elle profanée ou abîmée, à D.ieu ne plaise, nous l’enterrons comme un proche venant de trépasser. 

Curieusement, cette vénération s’est transposée sur les livres en général. Descartes a dit : “Je pense donc je suis”. Les juifs ont dit : “J’apprends, donc je suis”. Cette révérence pour l’étude est restée chez le juif, qu’il soit proche de la religion ou pas. Sergey Brin, cofondateur de Google, a une fois dit qu’il venait “d’une de ces familles juives russes qui s’attendait à ce que même le plombier ait un doctorat.”

Je fis donc écho à la description de Caitlin Moran selon laquelle les livres étaient des passerelles : “Chaque livre ouvert était aussi excitant qu’Alice qui insérait sa clé d’or dans la porte”. Un grand livre est un périple qui permet d’élargir l’esprit. C’est un concept que nous ne devons jamais perdre de vue. Les bibliothèques représentent un élément essentiel d’une société de qualité. Elles démocratisent le savoir, octroyant à tous un accès à l’héritage de l’humanité. Il y a plusieurs types de pauvreté que nous devrions essayer d’éradiquer, mais je me demande si l’appauvrissement intellectuel ne serait pas le plus déstabilisant et le plus profond de tous.

John Donne a écrit que “Toute l’humanité n’est qu’un seul auteur et un seul volume”. Il a rapporté la chose suivante sur la mort : “Lorsqu’un jeune homme meurt, un chapitre n’est pas enlevé du livre, mais plutôt traduit en une langue plus appropriée”. Dans le judaïsme, nous préférons penser à la vie. Nous sommes tous une lettre dans le livre de D.ieu. À l’instar d’une lettre, nous n’avons aucune mission en solitaire, mais lorsqu’on se joint à notre famille, notre communauté et notre nation, nos lettres forment des paragraphes et nous faisons maintenant partie du récit divin.

Isaac Bashevis Singer a dit : “D.ieu est un écrivain, et nous sommes ses co-auteurs”. Ainsi, à ce moment saint de l’année, nous prions pour être inscrits dans le Livre de la vie. Puissions-nous ne jamais perdre notre amour des livres ou de la vie.